Viol: un numéro de téléphone qui "libère la parole" des femmes
"Viol, femmes, informations, bonjour". Ainsi débute invariablement une conversation à l'accueil téléphonique dédié aux victimes de violences sexuelles, qui veut "libérer la parole" et aider des femmes meurtries.© 2011 AFP
"Viol, femmes, informations, bonjour". Ainsi débute invariablement une conversation à l'accueil téléphonique dédié aux victimes de violences sexuelles, qui veut "libérer la parole" et aider des femmes meurtries.
"Cette manière de décrocher a été mûrement réfléchie: le mot le plus dur est prononcé en premier par nous, donc le message est clair: si on n'a pas peur de le dire, on n'a pas peur de l'entendre", confie Delphine Reynaud, coordinatrice de la permanence, tenue à Paris par le Collectif féministe contre le viol (CFCV).
Entre 6.000 à 8.000 personnes composent chaque année le 0 800 05 95 95, un numéro vert, gratuit et anonyme. Un tiers sont des femmes pour témoigner d'une agression, un tiers sont d'anciennes victimes et le dernier tiers des proches de victimes cherchant des informations ou de l'aide.
Depuis l'ouverture de la permanence en 1986, près de 42.000 histoires de viols ou agressions sexuelles ont été racontées au téléphone. "C'est colossal mais ce n'est que le sommet de l'iceberg", souligne Delphine Reynaud, rappelant que 75.000 femmes sont violées chaque année.
Jeudi, à la veille de la journée mondiale contre les violences faites aux femmes, le gouvernement doit d'ailleurs lancer une nouvelle campagne de sensibilisation.
Dans les locaux de cette plate-forme téléphonique, les "écoutantes" se relaient. Une trame d'écoute guide les conversations. Les voix sont directes et douces.
"On parle bien sûr du viol, mais on demande aussi à la femme si elle est bien entourée, si elle est toujours en contact avec l'agresseur, pour savoir si elle est encore en danger", raconte Bénédicte, écoutante depuis un an.
"On pense toujours au stéréotype de la femme violée dans la nuit par un inconnu. En fait, plus de 80% des femmes le sont par des membres de leur entourage", souligne-t-elle.
Plus de la moitié des femmes qui appellent ont déjà été victimes d'agression dans le passé, souvent "dans un cadre familial". "C'est parce qu'elles étaient fragilisées qu'elles ont pu redevenir la proie d'un agresseur", explique Bénédicte.
Beaucoup de femmes font état de faits remontant à moins de deux ans. Parfois les viols ont été commis des dizaines d'années plus tôt.
Les écoutantes choisissent toujours de croire la victime. "C'est un parti pris", explique Delphine Reynaud. Mises en confiance dès le départ, elles sont encouragées à "libérer une parole sans se heurter à des doutes ou des jugements de valeur". "On rend légitime leur récit et on condamne les actes de l'agresseur par principe", souligne la coordinatrice.
Car les femmes ont parfois du mal à réaliser que ce sont elles les victimes. "Certaines culpabilisent en pensant qu'elles auraient dû crier, se sauver, alors que pendant un viol, on est tétanisé", relève Annick, une écoutante. "D'autres ont du mal à mettre un mot sur ce qui leur est arrivé, surtout lorsqu'il s'agit d'un viol conjugal."
L'un des rôles des écoutantes est d'expliquer aux femmes quelle a été "la stratégie de leur agresseur". "Ce sont souvent les mêmes histoires qui reviennent", selon Annick: "Des femmes agressées par des hommes a priori charmants, sans histoire, au-dessus de tout soupçon."
Elles peuvent aussi les inciter à porter plainte. "Parmi les femmes qui nous ont appelées, 30% ont fini par porter plainte, contre 10% pour la moyenne nationale", souligne Delphine Reynaud.
A la fin des conversations, les écoutantes communiquent souvent aux femmes des noms d'associations proches de chez elles, "pour recréer des liens" car, note Bénédicte, "les femmes qui nous appellent sont parfois très isolées".