La charge contre la police d'un anthropologue immergé dans une brigade anticriminalité

La charge contre la police d'un anthropologue immergé dans une brigade anticriminalité

L'anthropologue Didier Fassin a passé quinze mois en immersion ...
© 2011 AFP

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L'anthropologue Didier Fassin a passé quinze mois en immersion dans une brigade anticriminalité (Bac), spécialiste du "saute-dessus" dans les banlieues sensibles: il en a fait un livre à charge contre la police mais lui parle d'un "travail d'obervation avec le souci de "faire bouger les choses".

"Discours racistes", "pratiques discriminatoires", "scènes d'humiliation", "contrôles d'identité abusifs" et au faciès, "culture du chiffre": dans "La Force de l'ordre" (Ed. Seuil, parution cette semaine), se voulant une "anthropologie de la police des quartiers", il n'y va pas par quatre chemins pour décrire le quotidien d'une "Bac" qui oeuvre apparemment en grande banlieue parisienne mais que l'auteur ne situe jamais.

On y croise des policiers roulant à près de 200 km/h quasiment pour le plaisir, des "blacks" contrôlés pour rien ou des peccadilles - le fils de l'auteur en ayant fait l'expérience, ce qu'il raconte - mais rarement comme auteurs d'infractions. Y sont décrits des comportements de "cow-boys", tutoiement de rigueur et insultes racistes, avec les jeunes des cités HLM.

Fassin, professeur de sciences sociales à Princeton (Etats-Unis) et directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), se défend d'avoir livré une "charge" contre la police.

"C'est un travail d'observation", plaide-t-il. "Après avoir enquêté auprès des jeunes, j'ai voulu comprendre ce qui se passe du côté des institutions" et "ai eu la chance d'obtenir une autorisation pour suivre 15 mois une Bac" entre 2005, au moment des émeutes auxquelles il n'a pas assisté, et 2007.

"La loi vient après l'ordre"

Son récit confirme la césure police/population, singulièrement avec la jeunesse. Il montre, exemples à l'appui, "l'inefficacité" des Bac, selon lui, et de leur travail souvent effectué dans "l'illégalité" notamment pour ce qui est des contrôles.

Les dialogues, sous anonymat, sont saisissants: "C'est vrai que ces contrôles sont abusifs", raconte à l'auteur un commissaire "et je comprends qu'aux jeunes, ça leur pèse". "Mais c'est une espèce de jeu. Moi, je suis le flic, je vais te contrôler. Toi tu es le présumé coupable, tu te fais contrôler."

"Il faut bien admettre que ça ne sert à rien", admet encore le policier, selon des propos rapportés par Fassin, "sauf à perpétuer le climat malsain entre les policiers et les jeunes".

Ces pratiques, selon lui, sont à mettre au crédit des lois et discours sécuritaires depuis les années 1990, ceux de Charles Pasqua et Nicolas Sarkozy notamment. Mais aussi, "depuis un demi-siècle, des concentrations de populations et d'immigrés".

"La loi vient après l'ordre", résume le chercheur. "On a demandé aux policiers d'être interventionnistes" et les Bac ont été créées "rien que pour cela". Pour du "saute-dessus" comme disent les "baqueux" - ainsi qu'ils se nomment entre eux - dans le livre.

Quand on lui dit que le livre risque de choquer les policiers et ceux dont il a partagé le quotidien, Didier Fassin rétorque "espérer ouvrir le débat" pour que "tous s'y reconnaissent", policiers et citoyens. Pour "faire bouger les choses, au nom de la démocratie".

La partie n'est pas gagnée à en croire ce qu'il dit des jeunes policiers des Bac: "La plupart ont (une) image de la banlieue comme dangereuse, des habitants comme leurs ennemis et de la situation dans laquelle ils se trouvent comme un état de guerre".

"Et ce avant même d'être affectés dans ces circonscriptions où ils n'ont pas voulu aller et qu'ils cherchent à quitter au plus vite", écrit l'auteur.

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