Après le mariage royal, la fin annoncée de la polygamie au Bhoutan
•Vivre avec plusieurs épouses ou plusieurs maris était depuis ...© 2011 AFP
Vivre avec plusieurs épouses ou plusieurs maris était depuis des siècles chose courante au Bhoutan, petit royaume perdu dans l'Himalaya, mais le mariage du souverain avec une seule reine et l'idée nouvelle d'amour conjugal signent la fin de la polygamie, estiment des chercheurs.
Le pays, qui se targue d'être "le pays du bonheur", est longtemps resté coupé du monde pour préserver ses traditions bouddhistes ancestrales mais il n'a pu empêcher l'arrivée d'une modernité se propageant surtout par la télévision, seulement autorisée depuis 1999.
Le précédent souverain, Jigme Singye Wangchuck, qui régna de 1972 à 2006, s'est marié en 1979 avec quatre soeurs. Lors de la cérémonie officielle, les reines, qui arboraient des tenues quasi identiques, ont été couronnées ensemble.
La dynastie des Wangchuck, au pouvoir depuis 1907, a donné cinq "rois-dragon" au pays de la "Terre du dragon-tonnerre", et un seul d'entre eux, le troisième, avait jusqu'à présent choisi de s'unir à une seule reine.
Mais lors de son abdication en 2006 pour laisser le trône à son fils, Jigme Singye Wangchuck a annoncé que le futur souverain, qui fut couronné en 2008, ne devrait plus faire peser sur le pays la charge d'entretenir plusieurs épouses.
Les pratiques de polygamie sororale (vivre avec plusieurs soeurs) ou de polyandrie fraternelle (vivre avec plusieurs frères) ont pourtant toujours existé au Bhoutan.
"Dans la société bhoutanaise très libre de moeurs, les règles d'alliance ont toujours été souples, sans système de dot ni cérémonie de mariage ni enregistrement à l'état civil", explique Françoise Pommaret, directrice de recherche au CNRS et enseignante à l'université de Thimphu.
"Vivre avec plusieurs soeurs, surtout dans le centre et l'est, ou plusieurs frères, notamment dans le nord, permettait de garder les biens au sein d'une même famille", selon cette experte reconnue du Bhoutan.
Mais l'ouverture sur le monde et l'éducation à l'étranger de nombreux jeunes Bhoutanais a fait tomber en désuétude ces pratiques au sein des nouvelles générations, à l'exception des communautés pastoralistes des hautes montagnes.
Selon Dasha Karma Ura, chercheur au Centre d'études bhoutanaises à Thimphu, le nouveau roi se devait d'illustrer ce changement dans sa propre vie privée.
"Le roi est ancré dans la modernité. Lors de son allocution au parlement en mai où il a annoncé son mariage, il a précisé qu'il serait monogame et qu'il consacrerait sa vie à sa femme".
Lors du mariage royal de Jigme Khesar Namgyel Wangchuck, célébré jeudi dans une forteresse monastique au coeur du royaume, le souverain a posé devant les photographes main dans la main avec la nouvelle reine, une première.
Pour Françoise Pommaret, la notion de couple et d'amour conjugal a fait son apparition au travers des séries télévisées regardées par les Bhoutanais, notamment les "soap opera" coréens, très fleur bleue, diffusés sur le câble.
"L'amour raisonné de jadis a laissé la place à l'amour romantique. Et le roi en est un exemple. Il fallait le voir rougir devant le parlement en annonçant le nom de sa fiancée !", relève-t-elle.
Alors que les quatre épouses de son père n'ont jamais vécues avec l'ancien souverain, le nouveau couple royal, lui, habite déjà ensemble depuis des mois.
La fin de la polygamie va changer en profondeur la société, estime Mme Pommaret.
"Les mariages aujourd'hui dûment enregistrés à l'état civil se terminent parfois en divorces, qu'il faut là aussi officialiser. Il faut trouver un fautif dans le couple pour qu'il verse une pension au conjoint, divise les biens et cela crée des tensions dans la société", analyse-t-elle.
Honnête, le chef de l'opposition parlementaire, Tshering Tobgay, se dit toujours intéressé par la polygamie mais, admet-il, "ce n'est pas très pratique et je ne vois pas comment je pourrais être heureux comme ça".