Boris Cyrulnik: «Le suicide des enfants n'est pas une fatalité»
INTERVIEW•Le psychiatre Boris Cyrulnik rend ce jeudi un rapport sur le suicide des enfants à la Secrétaire d’Etat à la Jeunesse, Jeannette Bougrab...Propos recueillis par Delphine Bancaud
Bouleversée par une série de faits divers, la secrétaire d’Etat à la Jeunesse, Jeannette Bougrab, a confié au psychiatre Boris Cyrulnik en février dernier une mission sur le suicide des enfants. Avec à la clé, un rapport qui lui sera remis ce jeudi et sera publié le même jour en librairie*. Pour 20 Minutes, le psychiatre en dévoile les contours.
Votre rapport démontre que les suicides d’enfants sont plus nombreux qu’on ne le croit…
Selon les années, les statistiques officielles dénombrent entre 30 et 40 suicides par an chez les 5-12 ans. Mais il faut ajouter à ce chiffre beaucoup d’autres morts par troubles cognitifs, qui représentent au moins 70 décès par an. L’enfant se donne la mort, sans avoir eu l’intention de mourir. C’est le cas d’un enfant tellement malheureux qu’il va trop se pencher par la fenêtre ou de celui qui va traverser sans faire attention. Beaucoup de ces accidents ne sont en fait pas des accidents.
Quelles sont les causes de ce malheur, qui pousse directement ou indirectement à l’irréparable?
L’enfant souffre car sa famille est détruite à cause de la mort d’un de ses parents, où parce qu’il est témoin de violences conjugales. Autres cas de figure: les enfants qui sont victimes de négligence affective depuis leur naissance ou ceux qui ont été agressés sexuellement.
Vous avez également identifié des facteurs précipitants, de quoi s’agit-il?
Il ne s’agit pas des causes de l’acte, mais des facteurs qui déclenchent le passage à l’acte. Dans 75% des cas, il s’agit d’une dispute dans la famille.
Les suicides d’enfants sont-ils en expansion?
Non, pas vraiment. Entre 1989 et 1995, ils sont montés en flèche chez les garçons, mais grâce à une politique de prévention, leur nombre a baissé. Malgré cela, il faut toujours se montrer vigilant car les suicides augmentent lorsque survient un grand bouleversement socioculturel (une crise économique, davantage de précarité sociale, des réformes brutales…).
Votre rapport véhicule un certain optimiste malgré tout…
Oui, car j’ai voulu montrer que le suicide des enfants n’est pas une fatalité.
Quelles sont donc vos principales préconisations en matière de prévention?
Elles concernent la naissance, l’école et la famille. J’explique tout d’abord que le stress maternel vécu pendant la grossesse engendre des carences affectives précoces et développe une vulnérabilité chez l’enfant. Il faut offrir aux nourrissons au moins dix mois de stabilité affective, en facilitant la prise de congés parentaux et en développant les métiers de la petite enfance. Il est aussi nécessaire de renforcer la formation initiale conduisant à ces professions. Il faut aussi faire connaître les associations qui font un travail de terrain très intéressant auprès des familles en difficulté.
Et que suggérez-vous concernant l’école?
Il faut cesser le sprint scolaire. Les pays d’Europe du Nord qui ont ralenti les rythmes scolaires, ont vu les résultats des élèves s’améliorer et le nombre de suicides d’enfants baisser. Je suis par exemple, favorable à une réforme des rythmes scolaires afin d’alléger la journée des élèves.
Quelles sont vos solutions pour améliorer l’environnement familial des enfants les plus fragiles?
Selon mes analyses, les familles dysfonctionnelles sont celles qui sont closes. D’où la nécessité de développer par exemple, la culture des quartiers. Car ce qui est protecteur, c’est le lien. Monter un orchestre ou une équipe de foot de quartier est une excellente chose.
Votre rapport tombe en période pré-électorale. Pensez-vous qu’il sera suivi d’effets?
Je ne sais pas du tout ce que Jeannette Bougrab voudra ou pourra en faire.
Boris Cyrulnik, «Quand un enfant se donne la mort», éditions Odile Jacob, 19 €.