INTERVIEWRelations amoureuses virtuelles sur Internet: «Les réactions physiques sont souvent les mêmes derrière un écran que dans la réalité»

Relations amoureuses virtuelles sur Internet: «Les réactions physiques sont souvent les mêmes derrière un écran que dans la réalité»

INTERVIEWLe sociologue Jacques Marquet, professeur à l’Université de Louvain (Belgique) et spécialiste des relations amoureuses et sexuelles médiées par Internet, décrypte pour 20Minutes ce type de phénomènes...
Propos recueillis par Olivia Vignaud

Propos recueillis par Olivia Vignaud

Mardi, les magistrats du tribunal de Nervers (Nièvre) ont examiné une affaire de «corruption de mineur» un peu spéciale. Ce qui est reproché à l’accusée de 33 ans? Avoir eu une relation amoureuse, virtuelle et «platonique», avec un adolescent de 15 ans.

Dans l’affaire en question, l’idylle entre les deux protagonistes est née lors de discussions sur un site de jeux vidéo, est-ce un moyen comme un autre de nouer des liens amoureux?

Vous savez, les sites de rencontres sont nés d’un site de jeu d’échecs. Sur celui-ci, il y avait deux lignes réservées aux commentaires. Les fondateurs du site se sont rendu compte que ce petit encart était très utilisé, que les gens parlaient de choses et d’autres, qu’il y avait un rapport de proximité entre eux.

Sur les sites où l’on peut discuter, certains jeunes garçons ont tendance à se vieillir, à dire qu’ils sont majeurs, pour entrer en contact avec la sexualité. Cela se passe souvent à l’insu de leurs interlocutrices, plus âgées. C’est une manière pour eux d’avoir une idée de leurs attentes, de leurs désirs. A partir d’un certain moment, les femmes peuvent relever certaines incohérences et se rendre compte du subterfuge, que leur relation s’est développée sur un malentendu. C’est à ce moment-là que se pose la question de savoir comment on le gère.

Internet facilite-t-il les relations entre personnes d’âges très différents?

Les relations sexuelles entre des adultes et des personnes mineures, ce n’est pas nouveau. Dans le cas de figure dont nous parlons, il n’y a même pas eu de rapports physiques. Alors est-ce condamnable? Certains vous diront que tant que cela reste épistolaire, numérique, il n’y a pas adultère (au sens premier du terme). Pour d’autres, c’est un comportement déplacé, voire plus.

Le procureur a demandé la relaxe de la trentenaire. Si cela avait été un homme, aurait-il été aussi clément?

Il y a plus facilement condamnation pour les hommes. Et dans ces cas de figure, on parle souvent de pédophilie. L’imaginaire collectif perçoit, à tort ou à raison, l’homme comme un prédateur. Il est supposé être plus actif, en attente de sexualité, etc. Même sur les sites de rencontres, les hommes disent devoir faire le premier pas parce que les femmes sont plus sur la réserve qu’eux. A noter également que nos législations restent très marquées par cette vision classique. On parle souvent d’hommes qui s’attaquent à des femmes plus jeunes. On condamne les hommes pour des cas d’inceste, alors qu’on reproche rarement aux femmes de commettre des crimes sexuels envers leurs enfants. Cependant, et par ce type de procès, on va vers une reconnaissance de la culpabilité inverse. Ainsi, les affaires comme celle-là risquent de devenir de plus en plus fréquentes.

Y a-t-il un risque psychologique pour l’adolescent?

Certains adolescents vous diront qu’ils font très bien la différence entre les mots et les jeux de séduction sur Internet et la vraie vie. Tout dépend de la maturité du garçon. La loi encadre jusqu’à 18 ans mais d’un individu à un autre, les conséquences psychologiques ne sont pas les mêmes. Ce qui est certain, c’est qu’on a beau dire que c’est numérique, les réactions physiques sont souvent les mêmes derrière un écran que dans la réalité. Quand on s’attache, on peut avoir le cœur qui bat, une érection pour les hommes, des sécrétions vaginales pour les femmes, et j’en passe. Si l’adolescent construit quelque chose de très fort et qu’il en devient dépendant, les psychologues vous diront que des séquelles sont possibles.