HIGH-TECHSmartphones: Gadgets indispensables ou forme d'esclavage moderne?

Smartphones: Gadgets indispensables ou forme d'esclavage moderne?

HIGH-TECHDifficile de décrocher du travail et d'échapper à son employeur quand on possède...
Une personne utilise un smartphone.
Une personne utilise un smartphone. - REUTERS/Stelios Varias
© 2011 AFP

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Près de 10 millions de Français sont équipés de smartphones, une innovation technologique et ludique qui peut aussi laisser un arrière-goût amer à certains salariés rendus corvéables à merci par ce «cadeau» de leur employeur.

Les avocats à la solde de leurs téléphones

Il n'est pas de bon ton de critiquer le précieux «joujou» (iPhone, Blackberry, Android, etc.) fourni par le patron. Une avocate travaillant à Paris pour un grand cabinet anglo-saxon, indique ainsi sous le couvert de l'anonymat que dans sa profession, «le smartphone est quasi obligatoire» et «fait généralement partie du pack de bienvenue».

Selon elle, avec cet outil, les avocats sont «tenus de répondre à toute heure du jour et de la nuit», et «il est de plus en plus difficile de déconnecter» y compris le soir et le week-end.

Les heures supplémentaires liées aux smartphones rémunérées?

Nicole Turbé-Suetens, experte en télétravail du réseau Distance expert, indique que «des salariés commencent sérieusement à songer» à exiger le paiement des heures supplémentaires liées aux smartphones.

Des actions ont été lancées aux Etats-Unis, mais pas en France, où il n'y a pas de jurisprudence pour l'heure.

Selon elle, les smartphones sont «une arme à double tranchant», offrant à la fois «liberté car c'est un formidable outil de mobilité», et «dépendance car du fait que les collègues, et surtout le manager, savent que le possesseur d'un smartphone peut +travailler+ sur son téléphone, ils peuvent céder à la facilité d'en abuser». Pour Nicole Turbé-Suetens, «les dérives atteignent un niveau d'alerte car la vie privée n'est plus respectée dans bien des cas».

Addicifs, stressants mais socialement gratifiants

Thierry Venin, chercheur au CNRS qui s'apprête à soutenir une thèse sur le lien entre les technologies de l'information et de la communication (TIC) et le stress au travail, estime qu'«il y a encore un marqueur social de gratification de recevoir un truc un peu à la mode».

En même temps, dit-il, les cadres, même s'ils sont «très ambivalents», les smartphones étant «très addictifs», font clairement le lien entre smartphones et stress.

Le «droit à la déconnexion»

La CFE-CGC a effectué une enquête en novembre 2010 via Opinonway montrant que 28% des cadres disposent d'un smartphone. Si 70% d'entre eux disent bénéficier d'un droit à la déconnexion lorsqu'ils sont en congé, le chiffre passe à 64% en week-end et 58% en soirée.

Aussi, le syndicat a réclamé l'édition de chartes sur l'usage de ces outils numériques et le paiement des heures supplémentaires.

Thierry Venin évoque «un bug sociétal». Selon lui «avec autant de machines, on devrait tous avoir les doigts de pieds en éventail et jamais on n'a entendu autant de gens se plaindre d'être débordés».

Une nouvelle façon de travailler

Pour le chercheur, il «semble énorme que le lien ne soit pas fait entre le stress et les TIC, puisque ça a complètement modifié nos façons de travailler».

France Télécom a été la première entreprise à clairement établir ce lien.

Un accord conclu en mars 2010 stipule ainsi qu'afin de prévenir «l'usage de la messagerie professionnelle, le soir, le week-end et pendant les congés, il est rappelé qu'il n'y a pas d'obligation à répondre pendant ces périodes».

Une «laisse électronique»

Thierry Venin pointe «une inféodation de l'homme à l'outil» et espère que l'avenir va permettre de retrouver «un peu plus de sagesse», même s'il pense qu'«on peut encore faire pire».

Parmi les vices cachés du smartphone, le chercheur pointe aussi le fait qu'ils peuvent «être détournés par certains employeurs qui en font une +laisse électronique+», utilisant la fonction GPS pour traquer leurs salariés.

«Cela touche déjà depuis quelques années les chauffeurs-livreurs et autres VRP +tracés+ à la seconde près par leur entreprise», met-il en garde.