Déni de grossesse: «Elles accouchent et ne sont pas enceintes»
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Sophie Marinopoulos est psychologue-psychanalyste, Israël Nisand gynécologue-obstétricien. Très engagés pour faire entendre la voix des femmes, ils ont mis leur expertise en commun pour éclairer un sujet aussi fascinant qu'énigmatique: le déni de grossesse.
A distance des faits divers dramatiques qui ont fortement médiatisé ce phénomène, en particulier l'affaire Courjault, les deux spécialistes ont rédigé à quatre mains un livre dont le titre souligne d'emblée le paradoxe qui suscite tant d'incrédulité : Elles accouchent et ne sont pas enceintes.
La dimension psychique au coeur du déni
Pour être enceinte, la femme doit non seulement être enceinte physiquement, mais aussi psychiquement, expliquent-ils en substance. Et si la dimension psychique n'est pas là, la femme «ne se sait pas enceinte. Elle ne ment pas, ne feint pas de ne pas savoir, ne dissimule rien. Elle ne sait rien».
Les auteurs, qui sont intervenus tous deux au procès de Véronique Courjault en tant qu'experts sur les questions de maternité, s'emploient à expliquer le phénomène à la fois sur le plan physiologique et sur le plan psychique.
Le déni est une souffrance pas un mensonge
Ils appellent au passage à cesser les «batailles d'experts» pour s'intéresser à la «souffrance» des femmes concernées. «Evidemment les sceptiques resteront sceptiques», conviennent-ils.
Depuis l'affaire Courjault, «l'opinion publique a vraiment changé sur ce thème. Ce qui manquait c'était un livre auquel on pouvait se raccrocher, presque un livre de clinique», a expliqué à l'AFP le Pr Nisand (CHU de Strasbourg).
Le déni annule tout signe extérieur de grossesse
Les auteurs ont puisé dans leurs expériences «des histoires réelles qui ont pour but de faire comprendre ce qu'est le déni». Ils démontrent comment «le corps charnel de la femme donne des signes de grossesse ou les annule en fonction de l'état psychique de celle-ci».
L'enfant va trouver la place nécessaire, «mais sans se faire voir». «Explication: les muscles grands droits de l'abdomen, véritable gaine vivante et puissante, se tendent et se renforcent progressivement pour que le profil de la femme ne se modifie pas de jour en jour».
La révélation de la grossesse entraînera au contraire une «modification spectaculaire de la silhouette en quelques heures».
Des femmes psychologiquement fragiles
Le professeur Nisand s'attarde aussi sur les cas où la femme dans le déni se retrouve seule au moment de l'accouchement : «le décès de l'enfant nouveau-né est alors un des risques majeurs». Il appelle à analyser cependant «minutieusement» les conditions de la mort de l'enfant avant de parler de «meurtre», expliquant comment «l'accouchement d'une femme isolée peut suffire à produire une asphyxie».
Sophie Marinopoulos (CHU de Nantes) s'attache quant à elle à creuser l'histoire des femmes avant le déni, soulignant que le déni «n'arrive que dans ces profils familiaux où règne une misère affective».
«Bien avant le déni de grossesse, ce sont des femmes qui sont dans le déni de leur vie affective, le déni émotionnel. Elles enferment des émotions qu'elles n'ont pas réussi à transformer en relations humaines», a-t-elle expliqué.
Notre société exclu ce type de phénomènes
Pour la psychologue, le livre est aussi un appel à mesurer le peu d'attention portée par les sociétés modernes à la santé psychique en général, et plus particulièrement à la dimension affective de la grossesse, aujourd'hui techniquement maîtrisée.
«Les femmes du déni viennent nous provoquer dans notre modernité, dans notre toute puissance. Donc on ne les aime pas», a-t-elle affirmé.
(Elles accouchent et ne sont pas enceintes - Le déni de grossesse de Sophie Marinopoulos et Israël Nisand. Editions Les Liens qui libèrent. 220 pages, 18 euros. En librairie le 30 mars).