INTERNATIONALOtages en Afghanistan: Quel rôle pour les médias?

Otages en Afghanistan: Quel rôle pour les médias?

INTERNATIONALEntre la discrétion et la médiatisation, «il faut trouver le juste milieu»…
Maud Pierron

Maud Pierron

Cela fait un an que Stéphane Taponier et Hervé Ghesquière ont été enlevés en Afghanistan. Malgré des annonces de libérations imminentes, seules des vidéos des otages sont parvenues en France. Depuis le début, le gouvernement français opte pour la stratégie de la discrétion, imposant même un black-out total sur l’identité des journalistes au début de leur captivité, arguant de «questions de sécurité» et de négociations facilitées. Mais les proches de journalistes réclament une plus grande mobilisation, qui servirait de «bouclier médiatique». S’ils ont obtenu gain de cause sur l’identité des journalistes et le décompte quotidien des jours de captivité, la discrétion la plus totale reste de mise. Mais les journalistes de France3 sont toujours retenus en Afghanistan.

«Il n’y a pas de bonne méthode pour négocier», assure Pierre Moreau-Defarges, chercheur à l’Ifri. Mais dans cette « affaire très complexe» car «les interlocuteurs sont insaisissables» et «difficiles à identifier», comme dans toutes, «la discrétion est indispensable». «Plus vous mettez l’affaire sur la place publique, plus les ravisseurs peuvent faire monter les enchères». Et le spécialiste des relations internationales d’ajouter: «penser que mobiliser l’opinion publique va jouer en faveur des otages est illusoire. Au contraire, ça va conforter les ravisseurs: médiatiser les otages leur donne de la valeur et rend donc la négociation plus difficile».

Un otage oublié «n’a aucune valeur»

Le constat est partagé par Louis Caprioli, ex-responsable de la DST et qui connaît bien ce genre de situation. «Les négociations ne se font pas au grand jour, c’est un principe de base» mais «je comprends la nécessité de médiatisation qui peut certes mettre la pression sur le gouvernement français mais ne touchera pas le gouvernement afghan ou les talibans». Car dans le cas des deux journalistes de France3, assure l’actuel conseiller de Géos, société de sécurité privée, la France est «dépendante» du gouvernement afghan qui détient les responsables talibans dont les preneurs d’otages réclament la libération.

«Discrétion indispensable» contre médiatisation inefficace? Pas si simple, nuance Mathieu Guidère, professeur de veille stratégique à l’université de Genève. «Tout le monde sait que les otages sont en vie parce qu’on en parle. Leur vie tient à la médiatisation», insiste le spécialiste selon lequel les ravisseurs «suivent les débats en France». En conséquence, un otage oublié «n’a aucune valeur pour le terroriste, donc il s’en débarrasse». Evidemment, «l’inconvénient c’est que ça fait monter la valeur des échanges. Ils sont vivants, mais à quel prix? Il y a ceux qui jugent que la vie d’un otage n’a pas de prix et ceux qui ne veulent pas payer n’importe quel prix, il faut trouver le juste milieu». Un argument qui ne tient pas d’après Louis Caprioli car «tout le monde sait que la France négocie toujours, au contraire des Etats-Unis et du Royaume-Uni qui ne négocient jamais».

Un soutien pour les otages

Autre argument relevé par Mathieu Guidère et par ceux qui prônent la discrétion: parler des otages ferait la propagande des ravisseurs et les placeraient en position de force. «En fait, la médiatisation, c’est une question de manière plutôt que de principe». Parler des otages, oui, parler de leurs ravisseurs, non. «Ça a été très bien fait autour du sort des deux journalistes, les médias ont bien fait leur travail de mémoire pour que ces deux otages ne disparaissent pas», juge-t-il.

Si lui aussi relève que le temps des négociations s’explique par la complexité du dossier - «le groupe qui détient les otages ne dépend pas hiérarchiquement des interlocuteurs» et «négocier et faire la guerre en même temps c’est compliqué» - tout n’a pas été parfait dans la gestion du dossier Taponier-Ghesquière. Il relève notamment «le cafouillage» du début, quand l’Elysée avait pointé du doigt l’imprudence des journalistes et le coût engagé pour les rechercher. «On ne polémique pas avec la vie des otages». Et d’après ses informations, «la stratégie d’approche de la France a changé en an, cette rupture de continuité» a pu porter préjudice aux échanges.

Si la médiatisation des otages n’aide pas forcément à leur libération - Ingrid Bettencourt, restée sept ans dans la jungle colombienne peut en témoigner – d’anciens otages, tels Florence Aubenas, expliquent que la mobilisation autour de leur sort leur avait permis de tenir dans les moments les plus durs