DECRYPTAGEProcès Kerviel: Me Metzner «assume la responsabilité de l'échec»

Procès Kerviel: Me Metzner «assume la responsabilité de l'échec»

DECRYPTAGELa stratégie d'Olivier Metzner, l’avocat du trader, est critiquée de toutes parts...
Maud Pierron

Maud Pierron

«L’institution judiciaire l’a enfoncé, son avocat l’a enfoncé». Le constat, implacable, émane d’un bon connaisseur du dossier Kerviel et du monde de la justice. Au lendemain de l’annonce du jugement de Jérôme Kerviel, condamné à trois ans de prison ferme et à payer 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts à la Société générale, c’est un pléonasme de dire que la stratégie d’Olivier Metzner, l’avocat star de l’ex-trader, a été un échec.

Jérôme Kerviel «a mené une campagne de communication, prenant à témoin l’opinion publique, véhiculant l’image d’un individu en quête d’anonymat, antinomique avec le retentissement qu’il s’est attaché à donner à l’affaire dans les médias au cours des différentes phases de l’instruction et à l’approche de son procès, voire pendant celui-ci», a jugé le tribunal dans des attendus particulièrement cinglants pour la défense de Kerviel. Un comble pour un homme ayant reçu les conseils d’un des meilleurs pénalistes de la place de Paris et d’une agence de conseil en communication.

«Les attendus sont totalement sévères», reconnaît Me Olivier Metzner, contacté mercredi par 20minutes.fr. «J’assume toute la responsabilité de la défense de Jérôme Kerviel. C’est un échec dont je tirerai les conséquences», ajoute l’avocat, qui assure pourtant qu’il suivra Jérôme Kerviel en appel, «car il me l’a demandé». L’avocat avait engagé un bras de fer médiatique à la veille du procès, pour remporter la bataille de l’opinion publique. Au risque d’oublier que c’est le tribunal qui juge l’ancien trader. L'Engrenage: mémoires d'un trader, le livre plaidoyer de Jérôme Kerviel publié un mois avant le début des audiences était la pierre angulaire de ce plan com’ soigneusement orchestré. L’ouvrage était destiné à l’humaniser mais surtout à établir sa ligne de défense: celle d’un homme lambda, victime d’un système. «Sortir un livre avant un procès c’est extrêmement périlleux. J’étais contre», se défend Patricia Chapelotte, directrice de l’agence Albertine & Média, chargée depuis deux ans de l’image et la communication de Jérôme Kerviel.

«Toute la stratégie de défense dans le bouquin»

«Implicitement visée» par les attendus du jugement, elle n’a «pas l’impression d’avoir failli médiatiquement» mais «d’avoir failli humainement» en ne parvenant pas à faire entendre son point de vue à Jérôme Kerviel ou Olivier Metzner. «Jérôme devait réserver sa parole à l’enceinte judiciaire. La stratégie de communication autour du livre avec la machine médiatique qui s’est emballée, a été très gênante», insiste l’ancienne conseillère de Dominique Perben, du haut de son expérience du monde judiciaire. Elle s’est d’ailleurs «effacée» pendant le procès, laissant «Me Metzner aux manettes avec les médias. Il a géré comme il a voulu, on voit le résultat», tacle-t-elle. «Quelle mauvaise idée! Qu’un acteur du procès essaye de se faire justice avant de passer devant les juges, c’est très malvenu», corrobore encore Me Emmanuel Pierrat, avocat au barreau de Paris. «C’est évident que Kerviel a payé très cher la stratégie de communication retenue, qui a indisposée les juges», assure encore un habitué du palais de Justice.

«Convaincre l’opinion ou convaincre les magistrats, il faut voir ce qui est le plus important», s’agace Patricia Chapelotte. Me Metzner, spécialiste du coup médiatique, assume, encore. «Je ne regrette nullement. L’offensive médiatique de la Société générale ne pouvait pas rester sans réponse», juge-t-il. «La communication est critiquable mais indispensable. Le jugement de l’opinion publique va plus vite que la justice, il était nécessaire de réagir, même si ça n’a pas fonctionné. Et l'opinion est avec nous». Au-delà de l’agacement qu’aurait provoqué ce livre chez les magistrats, il y a autre chose que la communicante relève: «toute la stratégie de défense était dans le bouquin, il n’y a rien eu de nouveau au procès: les magistrats, les avocats savaient tout, c’était facile pour eux», tance-t-elle. «Lors de l’audience, malgré les débats contradictoire, Kerviel a sorti le même discours formaté que dans le livre. Il n’y a rien de plus désagréable pour un juge que l’impression qu’on récite une leçon», relève Me Emmanuel Pierrat.

«Quitte ou double»

D’un point de vue purement juridique, l’avocat du barreau de Paris juge la stratégie d'Olivier Metzner particulièrement risquée. «Il a joué à quitte ou double, à ça passe ou ça casse», résume-t-il. «Le jugement peut paraître déséquilibré mais les juges sont tenus par les stratégies des avocats. Si c’est ‘tout ou rien’, les magistrats doivent statuer sur ‘tout’ ou ‘rien’, et ça a été ‘tout’», décrypte-t-il. Une stratégie plus nuancée, en plaidant une «co-responsabilité» ou « une co-participation» aurait abouti à un jugement plus nuancé, assure-t-il. Sur ce point, Me Metzner est clair: «Vous défendez quelqu’un qui vous dit qu’il a fait ça mais que tout le monde savait, vous suivez», assure-t-il.

Quant aux critiques de Patricia Chapelotte, il les balaie vigoureusement: «Elle est hors jeu. Elle n’est plus en charge de la communication de Kerviel. Elle n’a aucun droit de parler en son nom, d’autant qu’elle a massacré beaucoup de choses. C’est elle qui a fait le plan média du livre», accuse l’avocat. Une version démentie par la directrice d’Albertine&Média, qui assure avoir encore eu Jérôme Kerviel au téléphone mercredi. «C’est grâce à moi que Metzner a Jérôme comme client, rappelle-t-elle. Je ne le regrette pas mais je regrette qu’il mélange stratégie de défense et stratégie de communication».