JUSTICEProcès Kerviel: «Ils sont tous coupables!»

Procès Kerviel: «Ils sont tous coupables!»

JUSTICEC'est le cri du coeur d'une professeur de Finances, invitée à témoigner lors de la huitième journée d’audience...
Maud Pierron

Maud Pierron

Un peu d’humour et de pédagogie. Il aura fallu attendre le huitième jour d’audience du procès de Jérôme Kerviel pour que ces deux ingrédients pimentent les débats parfois rasants toujours jargonants. C’est Catherine Lubochinsky, professeur agrégée de Finances à l’Université Paris II, où elle dirige un Master internationalement reconnu, qui les a apportés. «Quand l'affaire a éclaté, j'ai trouvé les sommes surprenantes pour une seule personne, sans complicité; concrètement, cela ne me semblait pas possible», a-t-elle commencé par expliquer au tribunal. Plusieurs éléments du dossier lui ont d’ailleurs parus «bizarres», comme le fait que le gain d’1,4 milliard d’euros à la fin de l’année 2007 ne soit pas apparu à la hiérarchie de Jérôme Kerviel. De même, les fluctuations de sa trésorerie, entre -2,2 milliards d'euros et +1,4 milliard, auraient dû mettre la puce à l’oreille.

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Robe noire sur un gilet blanc, très apprêtée, l’experte en finance continue son exposé, au risque d’agacer le président Pauthe mais pour le plus grand plaisir de la salle. Elle a, dit-elle, également trouvé «surprenant» que Jérôme Kerviel annonce à sa hiérarchie un gain de 55 millions d’euros, alors que la limite d’engagement sur le desk de huit traders où il officiait était au total de 125 millions d’euros. Soit, d’après ses calculs, «un rendement de 45%», loin de ce que les pourtant très rémunérateurs hedge funds peuvent offrir. «Un tel rendement ne se conçoit pas sans un risque à la hauteur», énonce-t-elle clairement. «Si on m'annonce: ‘j'ai un rendement de 45% avec un engagement à 125 millions d'euros’ ; je me pose des questions», assène-t-elle avec aplomb. Autre élément d’interrogation: comment la hiérarchie directe de Jérôme Kerviel a pu «ne pas voir la taille des positions» prises par l'ex-trader sur les marchés financiers - plusieurs dizaines de milliards - alors que dès le printemps 2007 se faisaient sentir «les premiers soubresauts des subprimes».

«Trader fou» et «trader zombie»

Devant tant d’assurance, le président Pauthe lui demande son avis sur l’affaire. «Ba ils sont tous coupable!», lance-t-elle avec gouaille. Le trader, bien sûr, et la banque, dont les contrôles étaient insuffisants. L’assistance rit devant tant d’aplomb, le président un peu moins. «Le contrôle n'a pas fonctionné, c'est pas moi qui le dit, c'est la Commission bancaire qui a infligé l'amende quasiment maximale» à la Société générale, rappelle-t-elle à la cour. Quant à Jérôme Kerviel, il a, d’après elle, pu avoir des «excès de confiance». C’est fréquent dans les salles de marchés. D’autant plus que, selon des «études scientifiques», «les traders ont un taux de testostérone supérieur à la moyenne», lâche-t-elle, ajoutant au passage que ce serait une bonne raison pour qu’il y ait plus de femmes dans les salles de marchés... Une irruption triviale dans la très austère salle du tribunal qui a fait se gausser la salle.

Ne se démontant pas, Catherine Lubochinsky a continué, expliquant que les traders «avaient besoin de se faire peur» . Et puis, traçant toujours la psychologie type du trader, «à un moment donné», le prévenu «n'a plus réalisé ce qu'il faisait», il a perdu «toute notion de la réalité». «Au bout de quelques zéros, on ne fait plus la différence», a-t-elle dit. Et comme un délinquant qui ne se fait pas prendre, il continue et augmente ses délits. Jusqu'à prendre des «positions irréalistes». Assis à sa droite, Jérôme Kerviel, costume sombre et chemise bleue à rayure sourit. Il tient le même discours depuis le début du procès.

Difficile pour Jean-Hubert Blanchet, également professeur au Master de Finances de Paris II de prendre la suite. Plus sobre, il s’est attaché à décrire le «trader fou» et «le trader zombie», assommé par le nombre d’ordres qu’il passe. Lors de l’enquête, il est apparu que Jérôme kerviel, qui travaillait de 7h à 22h, prenait très peu de vacances. Pourtant, il le faut, assure le professeur, sinon, on risque «un comportement qui peut amener à des dangers».