« Le masculin l’emporte »… Un père, qui estimait la grammaire préjudiciable à sa fille, perd en justice contre l’Etat
INFO « 20 Minutes »•Le Conseil d’Etat a débouté Bernard, qui attaquait une circulaire de l’Education nationale proscrivant l’écriture inclusive
Aude Lorriaux
L'essentiel
- Un enseignant, qui attaquait en justice la règle du « masculin qui l’emporte sur le féminin », ou du « masculin générique », a été débouté par le Conseil d’Etat.
- L’institution juge que ce père peut très bien faire cours lui-même à sa fille et que le fait de ne pas enseigner l’écriture inclusive ne prône pas l’inégalité entre sexes.
- « J’estime que mes arguments n’ont pas été entendus », regrette Bernard, qui note que sa fille n’apparaît pas une seule fois dans la décision du Conseil d’Etat.
Requête rejetée. Un père, qui attaquait l’Etat en justice en demandant qu’il soit permis d’enseigner autre chose que la règle du « masculin l’emporte », a perdu la bataille auprès du Conseil d’Etat. Dans une décision rendue le 20 décembre, la plus haute des juridictions de l’ordre administratif a rejeté tous les arguments de cet enseignant, que l’on appellera Bernard*, qui agissait au nom de sa fille, Alexia*, 11 ans.
Le recours attaquait la circulaire de l’ex-ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer, qui proscrit l’écriture inclusive, laquelle, selon le texte, « utilise notamment le point médian pour faire apparaître simultanément les formes féminines et masculines d’un mot employé au masculin lorsque celui-ci est utilisé dans un sens générique ».
« Il est triste que l’égalité reste à la porte de l’école »
« J’estime que mes arguments n’ont pas été entendus. Il est triste que les beaux messages de la République soient lettre morte, que l’école inclusive soit un vain mot et que l’égalité reste à la porte de l’école », regrette Bernard, qui note que sa fille n’apparaît pas une seule fois dans la décision du Conseil d’Etat. Un exemple flagrant selon lui d’infantisme, ou le « préjugé envers les enfants fondé sur la croyance qu’ils appartiennent aux adultes et qu’ils peuvent (voire qu’ils doivent) être contrôlés, asservis, ou supprimés pour servir les besoins des adultes », comme le définit la psychanalyste américaine Elisabeth Young-Bruehl.
« Normalement quand une société est représentée par une autre, on la nomme. Mais là, quand c’est un enfant, elle s’efface devant le requérant. Elle est complètement invisibilisée », juge Bernard, qui constate que sa fille « a perdu confiance en la justice ». Elle n’a pas souhaité s’exprimer, cette fois, auprès de 20 Minutes.
« C’est la victoire du droit et du bon sens, une décision contraire aurait été étonnante, car c’est comme cela qu’on communique entre nous », estime de son côté Cédric Vial, sénateur (LR) de Savoie et rapporteur d’une proposition de loi pour interdire certaines formes d’écriture inclusive.
Les outils « pour se penser et se dire »
Dans son texte envoyé au Conseil d’Etat, Bernard entreprenait de démontrer les effets néfastes de l’interdiction de l’écriture inclusive : « La présente circulaire […] crée des conditions de travail défavorables aux femmes et aux minorités de genre, dès lors qu’elles seront régies par des textes maintenant des stéréotypes de genre dans la langue, tout comme elle prive […] les élèves appartenant aux minorités de genre de la possibilité de recevoir des outils langagiers pour se penser et se dire. »
La circulaire du 5 mai 2021 serait ainsi contraire à la liberté de conscience et à la liberté d’expression, et créerait « un sentiment de vulnérabilité et d’humiliation » pour les élèves. Elle méconnaîtrait aussi l’objectif d’une scolarisation inclusive et d’une égalité réelle entre les genres. Le texte nierait les principes fixés par l’Etat lui-même, tels qu’énoncés dans un guide du Haut Conseil à l’Egalité (HCE). Celui-ci recommandait en 2015 l’usage du point entre la racine du mot et le suffixe masculin ou féminin, ou encore la réhabilitation de l’accord de proximité, par exemple « les hommes et les femmes sont belles » ou « les femmes et les hommes sont beaux » (C’est la règle choisie par 20 Minutes).
Distinguer la lutte pour l’égalité de l’écriture égalitaire
Autant d’arguments balayés par l’institution publique, qui estime en substance, premièrement, que ce père peut très bien faire cours lui-même à sa fille, si ses convictions philosophiques sont heurtées, puisque l’Etat le lui permet. Le Conseil d’Etat juge aussi que le fait de ne pas enseigner l’écriture inclusive ne prône pas l’inégalité entre sexes, et il rappelle au passage que la circulaire Blanquer « recommande de lutter contre les stéréotypes de genre et de promouvoir l’égalité entre les filles et les garçons ».
Entre autres raisonnements que nous ne rapportons pas tous ici, l’instance juridique pointe que le guide du HCE n’a aucune « incidence » sur la légalité de la circulaire : « Ce guide qui nous paraît dépourvu de force juridique ne concerne que la communication institutionnelle et il ne saurait donc y avoir de contradiction avec celui-ci », arguait fin novembre la rapporteuse publique Marie-Gabrielle Merloz dans une audition consacrée au sujet.
* Les prénoms ont été changés à la demande des personnes interviewées.
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