violencesMarine, survivante d’un viol collectif sous vulnérabilité chimique, témoigne

Vulnérabilité chimique : « Je suis tombée dans un piège »… Marine a été victime d’un viol collectif lors d’une soirée alcoolisée

violencesUn soir d’été 2021, Marine, 26 ans, est victime d’un viol collectif par trois hommes lors d’une soirée au cours de laquelle elle a beaucoup bu. Une victime parmi tant d’autres de « vulnérabilité chimique »
Lise Abou Mansour

Lise Abou Mansour

L'essentiel

  • En 2021, Marine, alors âgée de 26 ans, a été victime d’un viol collectif de la part de trois hommes avec qui elle avait consommé une importante quantité d’alcool.
  • Ils ne lui ont pas glissé de pilule dans son verre mais ont profité de son état de vulnérabilité, induit par l’alcool, pour abuser d’elle. C’est ce que l’on appelle la vulnérabilité chimique.
  • Trois ans après les faits, alors que ses agresseurs ont tous été condamnés, Marine a décidé de raconter son histoire. En espérant que les autres victimes de vulnérabilité chimique se sentiront moins seules.

«On connaît toutes des filles qui ont beaucoup bu et dont des hommes ont abusé », assure Marine. C’est pour elles que cette jeune femme de 29 ans a décidé de parler. Un soir de 2021, elle a été victime d’un viol collectif de la part de trois hommes avec qui elle avait beaucoup bu. Ses agresseurs n’ont pas utilisé la soumission chimique, n’ont pas eu besoin de mettre de pilule dans son verre. Fortement alcoolisée, elle n’était déjà plus en état de réagir. Comme d’autres femmes, elle a été victime d’un mode opératoire courant mais peu médiatisé : la vulnérabilité chimique.

Eté 2021. Sud de la France. Marine, a 26 ans et est en vacances lorsqu’une connaissance de connaissance rencontrée quelques jours plus tôt l’invite à une soirée. « Il m’a bien vendu son projet : des garçons et des filles sympas, de l’ambiance, un jacuzzi. » Le jeune homme insiste. Avant d’accepter sa proposition, Marine s’assure de pouvoir dormir sur place ou qu’une personne pourra la ramener chez elle après la soirée.

« Ils ont profité du fait que je n’étais plus lucide pour me pousser à me déshabiller »

Le soir venu, mauvaise surprise : « ce n’était pas du tout la soirée qu’on m’avait vendue. » Elle se retrouve seule face à quatre hommes, âgés de 18 à 24 ans. Ayant fait une heure de route, elle accepte un verre, pour faire connaissance. « Ils m’ont servi un truc assez fort en me disant que c’était ça ou rien. » La discussion s’engage, la jeune femme se détend, puis ils lui proposent un jeu à boire. « Une fois de plus, je n’avais pas vu le mal. » Les jeunes hommes lui remplissent continuellement son verre, de sorte qu’elle ne se rend pas compte de la quantité d’alcool ingérée. La bande décide ensuite d’aller se baigner. Marine est « vraiment ivre ». « Ils ont profité du fait que je n’étais plus lucide pour me pousser à me déshabiller. » Elle refuse mais « le mal était fait ». « Avec la chaleur et l’alcool, j’ai commencé à me sentir vraiment mal et je ne me souviens pas très bien de tout. »

C’est là que commence le long calvaire de Marine. Une nuit rythmée par une série de viols et d’agressions sexuelles. Les souvenirs de la jeune femme sont flous. C’est lors de l’enquête, puis du procès, qu’elle reconstituera le cours de la soirée, notamment grâce à des vidéos prises par ses agresseurs. Marine apprend qu’il y a eu une première pénétration, dont elle n’a aucun souvenir. « Je me rappelle seulement m’être réveillée pendant et avoir vomi. » Les hommes portent ensuite la jeune femme jusqu’à la salle de bains. Ils la lavent et en « en profitent pour toucher [s] on corps ». « J’étais à peine consciente et il était là tous les quatre, nus, à se masturber alors que je perdais connaissance par intermittence. »

Des souvenirs flous

Marine est ensuite transportée dans un lit. Un des quatre hommes la viole. Puis un deuxième. Puis un troisième. « Je ne sais pas ce qu’il s’est passé après. Soit j’ai essayé de m’échapper, soit ils m’ont déplacée, mais je me suis retrouvée nue dans le salon, inconsciente. » La jeune femme est de nouveau victime d’agressions sexuelles. A 6h30, ils la réveillent, prennent une voiture et la ramènent chez elle.

Trois heures plus tard, Marine se réveille et ne comprend pas bien ce qui lui est arrivé. « Je me sentais mal mais je ne savais pas si j’avais rêvé. Et surtout, je me sentais coupable. » Le garçon qu’elle fréquente cet été-là lui envoie un message, visiblement « jaloux et déçu » : l’un des agresseurs s’est vanté « d’une nuit de folie avec une sacrée salope ». Marine reçoit ce texto comme un électrochoc. « C’est là que j’ai compris. Eux et moi, on n’avait pas vécu la même soirée. Moi j’étais dans le mal, à réfléchir à ma vie et à regretter, et eux avaient passé une putain de bonne soirée ? Je lui ai tout raconté. Il m’a dit : "si ce que tu dis est vrai, tu devrais porter plainte". »

« Elle a été la première à me dire "je vous crois", et je n’oublierai jamais ces mots »

Alors qu’elle n’arrive pas à s’arrêter de vomir, Marine se fait conduire jusqu’à la gendarmerie. Les portes sont closes mais en insistant, on la laisse entrer. En commençant à raconter ce qui lui est arrivé, éclate en sanglots. « L’adjudante cheffe a été la première à me dire "je vous crois" et je n’oublierai jamais ces mots. Ils ont été les plus importants de ma vie. » Les quatre gendarmes qui l’ont reçue se sont « énormément investis » et l’ont « incroyablement bien soutenue ». « J’ai eu de la chance car je sais que ce n’est pas le cas pour toutes les victimes. »

Le dépôt de plainte dure. Six heures éprouvantes durant lesquelles Marine tente de donner le maximum de détails. Une enquête de flagrance est ouverte, puis tout s’enchaîne très vite. « Il était hyper important de récolter le plus de preuves possibles avant qu’ils ne les effacent. » Les agresseurs sont arrêtés trois jours plus tard, placés en garde à vue, puis en détention provisoire.

Des condamnations d’un à six ans de prison

Pendant les longs mois d’enquête, Marine souffre. Elle a des pensées suicidaires, a du mal à sortir de chez elle et enchaîne les arrêts maladie. « Je ne savais pas si mes souvenirs avaient déformé la réalité ou si ce dont je me souvenais était réel. » La juge d’instruction finit par lui montrer des images prises le soir des faits. Marine n’a rien inventé. Bien au contraire, elle en a oublié une partie. La colère vient remplacer le doute et la culpabilité.

En mai 2023, le procès, « très dur », dure cinq jours. « On a essayé de me faire passer pour la pire des traînées. La défense a utilisé des procédés vraiment ignobles. » Marine s’estime toutefois chanceuse car des preuves matérielles venaient appuyer sa version, tandis que celle des accusés avait changé à plusieurs reprises. La jeune femme apprend qu’ils avaient pris des stimulants sexuels le soir des faits, avant son arrivée. « Je suis tombée dans un piège bien préparé car ils avaient déjà fait subir un scénario similaire à une autre fille qu’ils connaissaient. Malheureusement, ils ont réussi à la manipuler pour qu’elle culpabilise. »

« Ce n’est pas à moi d’avoir honte »

Parmi les quatre accusés, trois étaient poursuivis pour viol en réunion, le dernier étant jugé pour agression sexuelle. Les trois premiers ont écopé de cinq à six ans ferme, le dernier d’un an de prison avec sursis. « Quand j’ai entendu tous les "oui" aux verdicts de culpabilité, ça a été un soulagement incroyable. La justice m’avait crue. »

Depuis cette nuit qui a « tout bouleversé », Marine tente de se reconstruire. Elle vient de reprendre le travail à temps plein, trois ans après les faits. Si elle estime « avoir encore un long chemin à faire », raconter ce qui lui est arrivé l’aide à se réapproprier son histoire. « J’essaie d’en parler le plus possible car ce n’est pas à moi d’avoir honte. » Marine ne s’étale pas non plus sur le sujet, « car les gens jugent facilement ». « J’ai la chance d’avoir gagné mon procès, donc on me croit davantage. » Mais la jeune femme pense aussi à toutes celles qui l’ont perdu, faute de preuves. Alors que le procès des viols de Mazan est toujours en cours, Marine tient aussi à rappeler : « un violeur, c’est une personne qui a une opportunité et qui en profite, pas un psychopathe ».

Si vous avez été victime de soumission ou de vulnérabilité chimique et avez besoin d’aide ou de renseignements, vous pouvez contacter les services suivants :

France Victime : 116 006 (7 J/7 ; 24h/24)

Violences Femmes Info : 3919 (7 J/7 ; 24h/24)

Centre de référence sur les agressions facilitées par les substances : 0140054270 (du lundi au vendredi, de 9h à 13h et de 14h à 18h)