TémoignageSoupçonnant une soumission chimique, Sarah empêchée de porter plainte

Soumission chimique : « Blackout », « main sur la cuisse »… Soupçonnant avoir été droguée, Sarah n’a pas pu porter plainte

TémoignageLe déjeuner anodin d’une Lilloise avec un homme s’est transformé en cauchemar sur fond de soumission chimique et de dysfonctionnements administratifs
Mikaël Libert

Mikaël Libert

L'essentiel

  • Une jeune femme a été victime, selon elle, d’un homme qui l’a droguée à son insu lors d’un déjeuner, mardi midi, près de Lille.
  • Lors de sa consultation à l’hôpital de Roubaix, on lui a expliqué qu’il était impossible pour l’établissement de procéder à des analyses sanguines poussées pour identifier la substance.
  • Orientée vers le commissariat de la ville afin de déposer une plainte et pouvoir consulter un médecin légiste, elle affirme qu’on a refusé de prendre sa plainte.

Mardi, Sarah* est peut-être bien passée à côté d’un drame. Ou pas. Elle ne le saura probablement jamais. Un simple déjeuner avec une connaissance s’est transformé en cauchemar lorsque la jeune femme a commencé à présenter tous les symptômes d’une soumission chimique. Mais alors que ce sujet est au cœur de l’actualité avec le procès des viols de Mazan, Sarah s’est fait jeter du commissariat de Roubaix (Nord) où l’on a refusé de la recevoir. Faute d’analyses sanguines réalisées en temps voulu, elle reste avec la certitude d’avoir été droguée mais sans aucune preuve.

Sarah a déjeuné, mardi midi, avec cet homme qu’elle « connaissait de vue », sans motivation particulière. Elle avait accepté l’invitation en guise de remerciement, l’homme lui ayant proposé de lui prêter une camionnette pour son déménagement. Le resto près de Lille où ils se sont retrouvés, tous deux y avaient leurs habitudes, chacun de son côté. Ils ont bu une bière à l’apéritif, une bouteille de vin en mangeant et « un amaretto en digestif », se rappelle Sarah. Rien de fou pour cette trentenaire qui reconnaît « savoir boire ».

« Il a mis la main sur ma cuisse en disant "ça va aller" »

Le déjeuner a traîné jusqu’à environ 16 heures, largement de quoi absorber l’alcool. Pourtant, en sortant du resto, Sarah ne se « sent pas bien » sans trop comprendre pourquoi. Elle explique à l’homme qu’elle ne préfère pas conduire et lui demande de la raccompagner. « D’un seul coup, j’ai eu comme des troubles de la vue puis des nausées et une irrépressible envie de dormir », explique-t-elle, assurant qu’elle luttait pour ne pas sombrer dans la voiture de l’homme. Puis un « blackout » dont elle ne déterminera pas la durée, à peine se souvient-elle qu’il lui a « mis la main sur la cuisse en disant "ça va aller" ».

La suite, c’est Marion, une amie de Sarah, qui l’explique à 20 Minutes. « Elle m’a appelé à 16h48 avec une voix étrange, puis à 17h49. J’avais l’impression qu’elle était ivre et désorientée mais j’ai compris qu’elle était en voiture avec quelqu’un. » A 18h32, nouvel appel de Sarah. Marion comprend qu’elle s’est fait déposer par l’homme à sa voiture, restée sur le parking du resto. Que s’est-il passé pendant ce laps de temps de deux heures et demie ? Sarah ne se souvient pas, même si elle est persuadée de ne pas avoir subi d’agression sexuelle.

Après avoir expliqué la situation par téléphone au médecin régulateur du Samu, lequel a soupçonné aussitôt une soumission chimique, son amie a convaincu Sarah de se rendre à l’hôpital de Roubaix pour en avoir le cœur net. Il était 22 heures lorsque la jeune femme a été examinée par une infirmière. Outre les symptômes décrits, les pupilles dilatées non réactives et l’haleine étrange de Sarah amènent la soignante à la même conclusion que le médecin du Samu. Sauf que l’hôpital « n’a pas les moyens techniques » de dépister par prise de sang la substance administrée. « On m’a dit qu’il fallait déposer plainte pour pouvoir voir un médecin légiste », explique Sarah.

Pas de « protocole soumission chimique »

C’est d’ailleurs l’hôpital qui a contacté le commissariat de Roubaix pour expliquer la situation. « Ils ne vont pas prendre votre plainte car vous n’avez qu’une suspicion », a relaté l’hôtesse d’accueil de l’hôpital pour résumer sa conversation avec le commissariat. Découragée et toujours dans le mal, Sarah a renoncé, exténuée. « Il était minuit et on sait que certaines drogues disparaissent vite de l’organisme », soupire-t-elle, résolue à ne jamais vraiment savoir.

Selon une source à la direction interdépartementale de la police nationale (DIPN) du Nord, si le refus de prise de plainte est avéré, il y a eu effectivement dysfonctionnement. Même son de cloche du côté du parquet de Lille qui n’a toutefois pas eu vent de cette affaire, assez logiquement d’ailleurs puisque aucune plainte n’a été déposée.

Sur la prise en charge médicale, même si Sarah salue la bienveillance des équipes du centre hospitalier de Roubaix, on se demande pourquoi aucun prélèvement sanguin ou d’urine n’a été effectué en vue d’analyses ultérieures. Au centre hospitalier de Haguenau (Bas-Rhin) ou de Nancy (Meurthe-et-Moselle), par exemple, il existe un « protocole soumission chimique » pour les « patients disant avoir été victimes d’injections et d’une possible soumission chimique ». Ce protocole permet d’effectuer des prélèvements en urgence alors que la voie habituelle (plainte, réquisition d’un médecin légiste, prélèvements) est souvent trop longue. Sollicité par 20 Minutes, le centre hospitalier de Roubaix n’a pas donné suite.

*le prénom a été modifié.