par ici L’additionC’est quoi « la dette écologique » dont parle Barnier et combien on doit ?

Gouvernement Barnier : C’est quoi « la dette écologique » dont parle le Premier ministre et combien on doit au juste ?

par ici L’additionEconomique, politique ou philosophique, la notion de « dette écologique », évoquée par Michel Barnier, connaît de nombreuses définitions et interprétations. On comprend bien qu’on doit quelque chose à quelqu’un, mais quoi et combien exactement ?
Alexandre Vella

Alexandre Vella

L'essentiel

  • La notion de « dette écologique » a été avancée, mardi, par le Premier ministre Michel Barnier dans son discours de politique général.
  • Un terme d’abord apparu au début des années 1990 suggérant que les pays du Nord, dits industrialisés, ont fait leur développement au détriment de l’environnement et des pays dits en voie de développement.
  • Mais aujourd’hui ce terme ne semble absolument plus correspondre à cette première définition. Aussi, 20 Minutes a demandé à trois spécialistes quelle réalité recouvrait à présent cette notion.

«Notre feuille de route tient en une double exigence. […] La réduction de notre double dette, budgétaire et écologique. Et je dirai la vérité aux Français, […] la vérité de l’impact de notre mode de vie et de notre économie sur l’environnement. » Dès l’introduction de son discours de politique générale devant les députés, le Premier ministre Michel Barnier a mis sur le même plan dette budgétaire et dette écologique.

Et si la première est facile à comprendre de tous, la seconde recouvre un concept difficile à saisir, car une dette suppose d’avoir quelque chose à rembourser, un paiement à effectuer. Evidemment, il existe bien le « jour du dépassement » qui nous indique à quelle date chaque année, l’humanité commence à vivre à crédit sur les ressources dont dispose la Terre. Mais celui-ci ne nous dit rien d’autre sur le passif enregistré que suggère le terme de dette.

Alors, 20 Minutes fait le point sur cette notion apparue au début des années 1990 et qui recouvre aujourd’hui différentes réalités, d’ordre économique, politique, voire philosophique.

Une estimation à 500 milliards de dollars par an

A l’origine donc, la notion de dette écologique théorisait une dette qu’auraient les pays industrialisés envers les pays qu’on disait alors en voie de développement. « C’est un terme de spécialiste », introduit Daniel Boy, chercheur au Cevipof. « Il désigne le fait que les pays industrialisés, dont la France, ont laissé dans l’atmosphère des quantités de CO2 et de gaz à effet de serre qui ont permis leur développement au détriment de l’environnement, et qu’ils ont donc une dette vis-à-vis de l’humanité. » Et ces transformations environnementales pèsent déjà sur notre climat, dont les changements affectent d’abord les pays les plus pauvres.

Une « dette », donc, que la Française Esther Duflo, prix Nobel d’économie en 2019, a évaluée à 500 milliards de dollars par an, un montant avancé ce 18 mars 2024 au cours d’une conférence. Mais lorsque Michel Barnier évoque ce concept de « dette écologique », dont il ne peut ignorer le sens originel pour avoir été ministre de l’écologie de 1993 à 1995, il n’est pas évident qu’il l’entende aujourd’hui au sens d’un paiement annuel que ferait la France à des pays du Sud - ce qu'elle s'est déjà engagée à faire avec le vote du fonds pertes et dommages voté à la COP28. Mais alors, quelle réalité recouvre donc ce terme ?

« Une bonne chose » de mettre dettes budgétaire et écologique sur le même plan

« Je ne trouve pas cela très opportun de parler de dette écologique qui suggère que nous pourrions revenir à l’état d’avant et de faire croire que cela peut être réparé », considère Michel Lepetit, vice-président de The Shift Project, un think tank de la transition vers une économie bas carbone qu’il a co-fondé avec Jean-Marc Jancovici. « Mais mettre d’un point de vue rhétorique la dette budgétaire au même niveau que la dette écologique et si c’est pour dire que cette dernière est aussi importante que la première, alors c’est une bonne chose », complète le polytechnicien.

Reste que pour lui « cette dette n’en est pas une, mais elle en a assurément un coût ». Un coût dont la France a pu avoir déjà quelques avant goûts, comme les inondations de janvier dernier dans le Pas-de-Calais dont les dégâts ont été chiffrés à 640 millions d’euros par les assureurs.

Une dette à oublier, une responsabilité à endosser

Pour Corine Pelluchon, philosophe de l’existentialisme écologique, ce terme de « dette » est peu opérant. Elle lui préfère la notion « de responsabilité écologique. Car nos modes de vie, de production et de consommation ont un impact sur nos descendants, sur la nature et sur tout ce qui est vivant », explique-t-elle, avant de poursuivre : « Préférer le terme de responsabilité, c’est acter que tout cela n’est pas extérieur à notre existence. Et tant qu’on n’installera pas la responsabilité au cœur de notre existence, nous en resterons à ces petits calculs – ce que suggère le terme de dette –, à des visions bureaucratiques et technocratiques de l’écologie. »

Reste un problème majeur d’un point de vue des politiques publiques : « La sobriété n’a pas très bonne presse auprès des électeurs et du public », souligne le politiste Daniel Boy. Pour lui, les engagements de la France en termes de réduction de ses émissions, notamment actés par les Accords de Paris, sont « une forme de reconnaissance de cette dette ». Quoique en retard sur ses engagements, la France enregistre toutefois ces dernières années une baisse régulière de ses émissions de gaz à effet de serre (-5,8 % en 2023 par rapport à 2022).

La tentation du freerider

Et 196 pays signataires des Accords de Paris se sont engagés à en faire de même, se dessine pour autant un problème bien connu des économistes et des sociologues des mobilisations collectives : même si la France, qui pèse aujourd’hui pour 4 % des émissions mondiales, « était à l’heure dans ses objectifs, cela changerait-il la face du monde ? », questionne Daniel Boy.

Et de nombreux pays se trouvent dans la même situation, surtout lorsqu’on poursuit un objectif aussi lointain que la neutralité carbone à l’horizon 2050. Dès lors, la tentation d’espérer que d’autres fassent les efforts à sa place est forte. Un comportement que les économistes et sociologue ont théorisé comme « le problème du passager clandestin [freerider problem] ».

Autrement expliqué, si dans une lutte sociale 90 % des employés font grève et accèdent à leurs revendications, les 10 % qui n’ont pas joué le jeu, les « passagers clandestins » donc, profiteront quand même des bénéfices obtenus. Et il n’y a finalement aucune raison qu’il n’en soit pas de même pour l’environnement, d’autant plus dans une économie où les pays sont en concurrence les uns avec les autres et où ne pas agir peut s’avérer dans l’immédiat être un avantage compétitif.