SOIRÉESLa Mutinerie en danger… Mais où sont les lieux de fête pour les lesbiennes ?

La Mutinerie menacée de fermeture à Paris… Mais où les lesbiennes peuvent-elles encore sortir ?

SOIRÉESAlors que la Mutinerie, bar queer emblématique de Paris, est menacé de fermeture, « 20 Minutes » s’est demandé pourquoi les établissements dits lesbiens disparaissaient de plus en plus de l’espace public
Elise Martin

Elise Martin

L'essentiel

  • Il y a trois semaines, la Mutinerie, bar queer emblématique de Paris, annonçait sur ses réseaux sociaux rencontrer des difficultés financières, lesquelles pourraient mener à la fermeture du lieu.
  • Face à cette situation, 20 Minutes s’est demandé pourquoi les établissements dits lesbiens se faisaient de plus en plus rares et par conséquent, où se retrouvaient les personnes lesbiennes.
  • Réponses avec la docteure en sociologie Sarah Jean-Jacques, Claire, du collectif de la Mutinerie, et Juliette, fidèle cliente d’établissements lesbiens.

Tout est parti d’une publication sur Instagram : « La Mutinerie est dans la merde absolue ». Sur fond gris, en lettre blanche et verte, le collectif qui gère ce bar queer emblématique de Paris explique rencontrer de sérieuses difficultés financières, lesquelles pourraient entraîner la fermeture du lieu. Très vite, il reçoit de nombreux soutiens, sur les réseaux mais également sur place.

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Parmi eux, Juliette, 29 ans. « J’habite à Rennes mais j’étais de passage à Paris, donc c’était évident de venir apporter mon soutien, à mon échelle », lance-t-elle. Pour elle, la Mutinerie est « un endroit mythique ». « Quand je me suis assumée en tant que lesbienne, j’ai cherché des lieux festifs pour les personnes de la communauté, pour me sentir moins seule. À l’époque, j’étais en études à Grenoble et le seul endroit qui revenait à chaque fois, c’était la Mutinerie à Paris. C’est devenu alors un peu mon ''Disneyland'' à moi. »

« Une disparition de l’espace public lesbien »

En voyant le post sur les réseaux sociaux, cette éducatrice spécialisée s’est sentie « attristée ». « Déjà qu’il n’y a pas beaucoup d’endroits pour nous. On voit disparaître ceux qui restent les uns après les autres… », lance-t-elle. Elle cite l’exemple du bar rennais La part des anges, fermé en 2023.

« Cette situation est commune à toutes les métropoles occidentales, confirme Sarah Jean-Jacques, docteure en sociologie. On pourrait ainsi parler d’une disparition de l’espace public lesbien, comme l’illustre la série documentaire ''Lesbian Bar Project''. Sortie en 2023, elle explore le déclin et l’évolution des espaces lesbiens aux États-Unis. Alors que le pays comptait près de 200 bars lesbiens dans les années 1980, il en reste moins de 30 en 2024. »

À Paris aussi, les espaces festifs dédiés aux lesbiennes « n’ont cessé de se réduire depuis les années 1970 », note Sarah Jean-Jacques, également autrice d’une thèse sur le sujet. Alors qu’en 2010, neuf établissements étaient dénombrés, il reste aujourd’hui le Bonjour Madame, le Elles bar, les Aimantes (anciennement le Bar ouf) et la Mutinerie, cite-t-elle.

Un modèle de fonctionnement en accord avec des valeurs politiques

Évidemment, cette tendance n’est pas « un choix délibéré », indique Sarah Jean-Jacques. Mais elle est « liée à un ensemble de facteurs », que la situation à la Mutinerie illustre bien : un loyer à 7.000 euros par mois, des travaux de rénovation, une baisse de fréquentation pendant l’été et les JO, une clientèle au budget restreint…

« Notre modèle de fonctionnement ne laisse pas vraiment de place à l’imprévu, avec une trésorerie fragile, ajoute Claire, du collectif de la Mutinerie. On prend des décisions en accord avec nos valeurs. Par exemple, on veut que le prix des boissons reste accessible. Récemment, on a augmenté la pinte de bière classique de 50 centimes, après deux heures de discussion. Son prix n’avait pas bougé depuis douze ans. » Elle ajoute : « Et puis on ne fait jamais payer l’entrée, parce qu’on considère que l’accès à un espace de socialisation communautaire ne devrait pas être conditionné au fait d’avoir les moyens ou non. Et évidemment, on rémunère correctement toutes les personnes qui travaillent pour le bar. Il faut en vendre, des pintes à 6 euros pour survivre ! »

Sarah Jean-Jacques souligne également le « rôle d’Internet » et du « foisonnement des sites et applications de rencontres ». « Ils favorisent les rencontres sans passer nécessairement par un espace physique », relève-t-elle.

Différence avec les établissements pour les hommes gays

Pour Juliette, la situation est d’autant plus « incompréhensible » que les lieux lesbiens sont, selon elle, « plus touchés que les autres ». Effectivement, les établissements gays sont « bien plus nombreux à Paris, comme dans les métropoles occidentales », relève Sarah Jean-Jacques qui vient de sortir, avec Sophie Pointurier, Le Déni lesbien (éd. Harper Collins).

« Historiquement, l’essor d’un ensemble d’établissements dédiés à l’homosexualité masculine vient du besoin de créer des espaces de refuge dans la ville pour se prémunir de l’homophobie, et de permettre les rencontres entre hommes à une époque où seule l’homosexualité masculine était pénalisée. Et ce contrairement au lesbianisme, qui relevait d’un impensé - c’est encore le cas dans de nombreux pays - », développe la docteure en sociologie.

Autre point important pour expliquer cette différence : une position sociale différente. « Les hommes gays ont tendance à avoir un pouvoir d’achat plus important que les lesbiennes. La clientèle des établissements est donc plus encline à consommer et les gérants sont plus propices à disposer de fonds nécessaire à l’ouverture de lieux de consommation pérennes », résume celle qui est également cofondatrice de l’Observatoire de la lesbophobie.

Des espaces dits hétérosexuels « lesbianisés »

Mais alors, face à la disparition de lieux dédiés pour elles, où sortent les lesbiennes ? Juliette se rend dans des endroits « queer friendly », « faute de lieux labellisés lesbiens ». « Ce n’est pas la même chose que d’aller dans un endroit dédié et où mon argent se retrouve dans les caisses de personnes de la communauté, mais c’est déjà super que ces espaces existent », affirme la jeune femme.

« Les lesbiennes se retrouvent dans des espaces dits hétérosexuels qu’elles vont s’approprier et ''lesbianiser'' temporairement un événement, poursuit Sarah Jean-Jacques. À Paris, ça se traduit par des soirées comme la Wet For Me, la Dyke Menopause ou la Pulse, qui réunissent de manière éphémère des centaines de lesbiennes dans des espaces qui ne sont pas originellement étiquetées »

Elles participent aussi à des événements à la librairie Violette and Co ou à des soirées de soutien à des associations comme Les Dégommeuses ou Label Gouine, décrit la docteure en sociologie. « Les lesbiennes fréquentent aussi des espaces féministes, ou étiquetées queer/LGBT/trans-pédé-gouine », résume-t-elle.

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En région, ce modèle se développe. Comme à Lyon avec les « moules à facettes », des soirées « lesbiennes pour tou.te.x.s », dont la troisième édition se déroule ce vendredi au Rock’n’eat. « À Rennes, il y a aussi des événements ponctuels qui permettent de visibiliser des artistes et initiatives de personnes lesbiennes et/ou trans », témoigne Juliette. Elle cite le festival de « la Gouinerie », dont la 2e édition aura lieu les 5 et 6 octobre prochains.

Avant de relancer l’appel et d’insister : « Soutenez la Mutinerie et tous les espaces communautaires de ce genre, c’est important. Pour toutes les générations, on a besoin de lieux de références. »