Bassin d’Arcachon : La ville d'Audenge condamnée pour un permis illégal, l’urbanisation de plus en plus critiquée
urbanisme•La ville d’Audenge a été condamnée le 20 septembre à hauteur de 730.000 euros pour avoir délivré un permis de construire illégal à un particulier, ce qui pose la question du respect de la loi Littoral et de l’urbanisation sur le bassin d’ArcachonMickaël Bosredon
L'essentiel
- La ville d’Audenge, sur le bassin d’Arcachon, a été condamnée par le tribunal administratif de Bordeaux à indemniser un particulier à hauteur de 730.000 euros pour lui avoir accordé des certificats d’urbanisme illégaux.
- Une décision qui découle de la loi Littoral, dont la mairie dénonce « l’évolution de l’interprétation » par les services de l’Etat.
- Plusieurs associations pointent de leur côté « l’urbanisme déraisonné » à Audenge et sur l’ensemble du bassin. Elles réclament un moratoire concernant les constructions.
Un symbole de « l’urbanisation déraisonnée » qui serait en cours sur le bassin d’Arcachon, comme le dénoncent plusieurs associations environnementales ? Le 20 septembre, la ville d’Audenge, sur le bassin, a été condamnée par le tribunal administratif de Bordeaux à indemniser un particulier à hauteur de 730.000 euros pour lui avoir accordé des certificats d’urbanisme illégaux. Une somme « exorbitante », dénonce ce mercredi la municipalité auprès de 20 Minutes.
Plusieurs autorisations de construire accordées dans le secteur de Bas-Vallon ou d’Hougueyra, notamment, avaient en effet été retoquées par l’Etat à la suite d’un contrôle de légalité fin 2020. Des particuliers se sont dès lors retrouvés avec des terrains achetés, parfois au prix fort, et… inconstructibles. Si la loi Littoral prévoit qu’aucune construction n’est possible dans ces zones diffuses, afin de protéger ce secteur sensible de l’étalement urbain, de nombreux permis avaient néanmoins été accordés pendant des années, sans que personne ne trouve rien à y redire.
La municipalité dénonce « une évolution de l’interprétation » de la loi Littoral
L'association Audenge Citoyenne, « qui n’a cessé de signaler les conséquences du non-respect de la loi Littoral » dans la commune, estime ce mercredi qu'outre « l'impact environnemental, une autre crainte est aujourd'hui confirmée par cette décision de justice : cela pourrait coûter très cher à la commune. »
La Ville d’Audenge a décidé de son côté de faire appel du jugement. « Une décision que nous estimons injuste et disproportionnée », réagit auprès de 20 Minutes la maire de la commune, Nathalie Le Yondre. « La commune se voit contrainte d’indemniser une personne qui resterait propriétaire de terrains possiblement constructibles [à l’avenir], bénéficiant donc d’une double valorisation foncière » analyse l’élue. « Une telle situation est inadmissible : l’argent public ne doit en aucun cas être utilisé pour enrichir un particulier de manière aussi flagrante. »
Selon la municipalité, « cette situation découle de l’évolution de l’interprétation de la loi Littoral - entrée en application en 1986 - depuis le changement de doctrine des services de l’Etat intervenu à l’automne 2020, ce qui a impacté les droits à construire sur des terrains situés dans des secteurs pourtant identifiés comme déjà urbanisés. »
Contacté samedi dernier par 20 Minutes, le nouveau sous-préfet d’Arcachon, Jean-Louis Amat, estime de son côté que « l’Etat n’a pas évolué dans son application de la loi Littoral. » « Depuis quelques années, il a en revanche durci les contrôles de légalité en matière de droit à construire. » Cela dit, « l’Etat ne peut pas contrôler tous les actes, sachant que rien que pour l’année 2023 en Gironde, ce sont plus de 72.500 actes d’urbanisme qui ont été déposés. » « C’est dire l’immensité de la tâche » concernant l’application de la loi Littoral, qui reste néanmoins « une priorité de l’Etat ». Ce qui explique, selon le représentant de l’Etat, que certains permis passent entre les mailles du filet…
Une plainte pour « préjudice écologique »
Derrière cette affaire se pose la question de l’urbanisation sur le bassin d’Arcachon. En particulier à Audenge, ville qui a connu une progression de sa population de 32 % entre 2013 et 2020. Plusieurs associations, Audenge Citoyenne, Notre Affaire à Tous et la Ceba (Coordination environnementale du bassin), ont porté plainte contre la municipalité pour « préjudice écologique », l’accusant d’avoir « contourné » la loi Littoral en autorisant « 200 constructions illégales en dix ans. » « Beaucoup de ces permis concernent des terrains en limite de zones boisés, ce qui, dans une région à haut risque d’incendie soulève une question de sécurité pour ces habitants » estime Audenge Citoyenne. Elles réclament par ailleurs « un moratoire sur l’urbanisme » à l’échelle du bassin.
Nathalie Le Yondre précise que « le recours de ces associations porte sur 13 permis de construire, et non 200 », et ajoute que cette action contre des permis « devenus définitifs » est « inadmissible. » La surface plancher de ces permis représenterait par ailleurs « seulement 1.852 m2, soit 0.0022 % de la surface de la ville », ajoute la municipalité.
« Irresponsable de continuer à accueillir les gens »
« Nous tentons de trouver un juste équilibre entre la volonté de construire de certains et la protection de notre environnement, dans un contexte d’injonctions contradictoires de l’Etat (créations de logements sociaux, réduction de l’artificialisation des sols…), d’urgence climatique et de craintes des habitants pour leur avenir », se justifie l’élue.
« On booste l’attractivité du bassin d’Arcachon à outrance », dénonce a contrario Bruno Hubert, de l’association Audenge Citoyenne, que nous avons rencontré au mois de juin dernier. Avec plus de 163.000 habitants, la population du bassin ne cesse de croître, de l’ordre de 1,5 % par an.
« Les infrastructures ne sont pas pensées pour accueillir autant de gens, le réseau des eaux usées n’est pas adapté, on l’a bien vu l’hiver dernier avec les débordements et l’épisode de pollution des huîtres, argumente ce militant écologiste. Sur les dix-sept communes du bassin, seules trois ont adopté un plan de prévention feux de forêt, alors qu’on a eu les mégafeux il y a deux ans. C’est irresponsable de continuer à accueillir les gens sachant qu’on les expose à des risques d’inondation, de submersion, d’incendie… »
« Eviter les dérives que l’on a connues sur la Côte d’Azur »
Pour Bruno Hubert, « tout s’est accéléré à partir de 2016 avec l’arrivée [en 2017] de la LGV Bordeaux-Paris, créant un engouement pour Bordeaux et ses alentours et une surmédiatisation du bassin. C’est là qu’on s’est mis à construire sans penser aux conséquences, sans prise en compte de l’identité paysagère du bassin. » Le militant écologiste a plusieurs élus du bassin dans le viseur, qu’il veut « mettre en face de leurs contradictions : on ne peut plus accepter que le territoire soit d’un côté vendu comme un espace sensible et fragile, et de l’autre tout faire pour inciter à venir consommer le bassin. On veut éviter les dérives que l’on a connues sur la Côte d’Azur. » Et d’ajouter : « On est sur un point de bascule. Si aucune décision n’est prise, c’est chronique d’une mort annoncée. »
Entre 2011 et 2020, « la ville d’Audenge a urbanisé [un peu plus de] 100 hectares, soit 1,18 % de son territoire en totalité », avance de son côté la maire de la commune. « Ces difficultés ne sont pas propres à Audenge, ajoute Nathalie Le Yondre. De nombreuses communes françaises, qu’il s’agisse de la région Paca, de la Corse ou d’autres territoires littoraux, rencontrent des problèmes similaires. La question est d’autant plus sensible sur le bassin d’Arcachon, où le prix du foncier est particulièrement élevé, accentuant les tensions autour des projets immobiliers. »
Un Schéma de cohérence territorial (enfin) approuvé
La mairie met par ailleurs en avant « le Schéma de cohérence territorial (Scot) du Bassin d’Arcachon/Val de l’Eyre, récemment adopté », et qui vient « conforter l’existence sur le territoire de secteurs déjà urbanisés. »
Le Scot, document d’orientation sur lequel les communes doivent s’appuyer pour l’élaboration de leur PLU (Plan local d’urbanisme), avait été suspendu au début de l’année par le préfet, qui estimait que plusieurs de ses recommandations et priorités « étaient insuffisamment prises en compte » rappelle Jean-Louis Amat. « Le syndicat Sybarval [qui regroupe les 17 communes du bassin et du Val de l’Eyre] a pris en compte les observations de l’Etat, notamment concernant la gestion des zones humides, du risque inondation et incendie », et ce document est désormais exécutoire « depuis le 7 août dernier », annonce le représentant de l’Etat.
À lire aussi