Ces relous qui se précipitent dans les files d’embarquement à l’aéroport (alors que l’avion ne partira pas sans vous)
Les relous, c’est nous, c’est vous•Tous les mois, « 20 Minutes » s’intéresse aux relous du quotidien, qui nous agacent avec des manies pas bien méchantes mais très énervantes. A l’heure des vacances, on s’interroge sur les voyageurs pressés de se mettre dans les files d’embarquement
Alexandre Vella
L'essentiel
- Tous les mois, 20 Minutes se penche sur les relous du quotidien. Celles et ceux qui nous titillent sans le vouloir sur des trucs pas bien méchants… mais très énervants.
- Dans ce nouvel épisode, on s’intéresse aux relous dans les aéroports : celles et ceux pressés de se mettre dans la file d’embarquement d’un avion qui ne partira pas sans eux.
- Qui sont-ils ? Quels sont leurs arguments ? Comment les calmer ? 20 Minutes a mené l’enquête.
La fan qui passe un concert le téléphone en l’air avec plus d’attention sur son cadrage vidéo que sur le show, le joggeur du dimanche qui vante du lundi au vendredi sa dernière perf dominicale, le vélotaffeur qui pleure au moindre au pépin et s’affranchit du Code de la route… L’idée de départ est simple : s’intéresser à ces petits gestes « relous » qui nous titillent au quotidien. A ce « sentiment de toute-puissance qui nous fait dire “si je ne le fais pas, l’autre le fera, donc autant le faire moi” », comme le décrit le psychologue Robert Zuili, auteur du Pouvoir des liens (éd. Mango, septembre 2023). Aujourd’hui, direction l’aéroport. Là où certains relous courent dans la file d’embarquement alors que l’avion ne décolle que dans 2h15.
Le fait relou
Il vous attend là, sur le tarmac, avec le sifflement déjà audible de ses moteurs en train de chauffer comme une promesse de vacances bien méritées ou de déplacement professionnel rapide. Mais le sourire n’est pas encore radieux sur votre visage. Arriver jusqu’à la salle d’embarquement a déjà été pénible. Votre vol n’est prévu qu’à 14 heures, mais vous êtes parti de chez vous depuis tôt ce matin pour enchaîner métro, RER, couloirs interminables, enregistrement et contrôles de sécurité.
Parvenu devant la porte d’embarquement, vous vous laissez enfin aller, affalé sur un de ces sièges soudés les uns aux autres lorsqu’une voix annonce dans le haut-parleur : « Les passagers du vol Air France 714 à destination de Sydney sont invités à se rendre à la porte 13 pour l’embarquement. » Sitôt prononcée, une petite foule s’amoncelle en une file bien disciplinée face au petit bureau où attendent des membres de l’équipage. Et de fait, on sent souvent une impérieuse nécessité de suivre la masse.
Pourquoi c’est méga relou ?
« Ça me fout toujours un peu la pression quand je vois tout le monde se lever comme ça, presque d’un coup, alors que l’avion ne partira pas sans nous. Et que d’évidence, on va tous attendre debout », résume Maxime, devant le terminal 2 de l’aéroport Marseille-Marignane. Ce jour-là, il s’apprête à partir à Bruxelles. Un vol qu’il emprunte régulièrement et pour lequel il préfère souvent embarquer le plus tard possible. Le but : réduire le temps passé sur un siège inconfortable, où parvenir à étendre ses jambes s’apparente plus à une position de yoga qu’à un geste naturel. « Et quand je suis l’un des derniers encore assis, je me sens hypergêné », reprend Maxime.
Que dit la science ?
Ce phénomène de gêne, la docteure en psychologie sociale Alisée Bruno l’explique : « La pression sociale ressentie vient de la volonté individuelle d’adhérer à un groupe, d’être dans la norme, en somme ». Une pression face à laquelle l’être humain semble dépourvu : « Le biais cognitif imposé par une pression sociale est toujours plus fort que la volonté des individus », reprend la psychologue installée en Drôme.
Pire, ce conformisme s’applique aussi dans l’erreur : « Des chercheurs en psychologie sociale ont montré que les personnes avaient tendance à donner le même point de vue ou à se conformer à un comportement, même si cela implique d’être dans le faux. Par exemple, si l’on montre deux crayons de tailles strictement identiques à une personne à qui vous dites : “celui-ci est plus long”, il va adopter le même point de vue même s’il sait que l’info est fausse », poursuit Alisée Bruno.
Les arguments des relous
Critiquer est une chose, encore faut-il savoir entendre les arguments des accusés. Pour Christine, prompt à se ranger dans la file, il s’agit « d’une question de respect : on appelle les passagers à se présenter, alors je m’exécute, tout simplement. De toute façon, il va bien falloir y passer, et si tout le monde attend le dernier moment, il y aura un problème », estime la sexagénaire.
Pour d’autres, il s’agit plus pragmatiquement de prendre vite place à bord : « Je prends assez rarement l’avion, mais je sais que j’aime bien y être rapidement installée. Déjà parce que j’essaie toujours de me mettre côté hublot et s’il faut négocier avec le voisin, c’est moins gênant en étant installée la première », raconte Stéphanie. « Comme ça, je ne bouge plus jusqu’à l’arrivée et je peux m’installer avec mes écouteurs », sourit la jeune femme. Un petit effet « ça y est, j’y suis enfin, les vacances commencent », décrit la trentenaire, qui travaille dans l’insertion sociale.
Et puis parmi les usagers réguliers habitués à voyager léger, il peut y avoir la crainte de voir son bagage à main finir en soute, avec l’assurance de perdre une belle demi-heure à l’arrivée : « Ça m’est arrivé une fois sur un vol Marseille-Ajaccio, témoigne Jean-Baptiste. J’avais tardé à embarquer, c’était en plein été et il n’y avait plus de place dans les coffres, m’a-t-on expliqué. Mon petit sac à dos est donc parti en soute et j’ai perdu du temps à l’arrivée », regrette le Corse.
Le truc infaillible pour faire comprendre au relou qu’il est relou ?
Vous pouvez vous mettre à bêler pour manifester votre désaccord, mais cela contreviendrait à la bienséance la plus élémentaire. Au fond, il n’y a rien de dramatique à se précipiter dans la file d’embarquement. Certains esprits anticonformistes ont aussi tenté d’influencer leurs congénères : « J’ai déjà fait l’expérience de m’asseoir ostensiblement sur la rangée de fauteuils la plus proche de la file, en regardant les gens attendre debout. Je n’ai pas eu l’impression que cela ait eu le moindre effet », rit Maxime.
Autre technique : mimer ou organiser une conversation téléphonique que les impatients peuvent distinctement entendre : « Ouais, là, j’attends encore peinard, assis en salle d’embarquement. L’appel a commencé mais il y a déjà tout un tas de gens dans la file, vraiment je ne comprends pas. Je t’embrasse, je t’appelle en arrivant ». Mais pas certains qu’un tel niveau de manipulation soit rentable.