« Il m’a demandé de me mettre nue », raconte Iris, maltraitée et humiliée par un médecin lors d’une garde à vue
ENQUÊTE•Arrêtée et placée en garde à vue après une action contre TotalEnergies, Iris a été reçue contre son gré par un médecin qui lui a demandé de se déshabiller complètement dans un commissariat. Une pratique qu’elle est la seule à avoir subie ce jour-làEmilie Petit
L'essentiel
- Le 24 mai, l’action conjointe de plusieurs ONG et collectifs devant le bâtiment d’Amundi a conduit à l’arrestation de plus de 200 militantes et militants écologistes.
- Certains d’entre eux ont été placés en garde à vue au commissariat du 13e arrondissement de Paris, dont Iris, militante écologiste d’une trentaine d’années.
- Lors de sa garde à vue, elle a été forcée de passer un examen médical contre son gré, et a été victime du comportement déplacé d’un médecin.
«J’étais prête à prendre des risques juridiques. Mais pas à mettre en danger ma santé physique et mentale ». Du haut de son petit mètre soixante, Iris, menue et élancée, semble encore profondément marquée par ce qui lui est arrivé. Membre du mouvement écologiste Extinction Rebellion, cette jeune parisienne d’une trentaine d’années est pourtant une militante chevronnée.
Habituée à prendre part à des actions non-violentes, elle avait toujours échappé à la garde à vue (GAV), jusqu’au 24 mai dernier. Un séjour de plusieurs heures dans un commissariat parisien où elle dit avoir été victime du comportement très déplacé d’un médecin que personne n’est parvenu à identifier depuis. « On sait que ça ne se passe jamais comme on le pense » tente-t-elle de rationaliser en livrant son récit à 20 Minutes. Comme si elle avait pu deviner que ça allait mal tourner.
« L’arrestation s’était plutôt bien passée »
Ce jour-là, l’action conjointe de plusieurs ONG et collectifs devant le bâtiment d’Amundi pour dénoncer les activités jugées climaticides de TotalEnergies, avait conduit à l’arrestation de plus de 200 militantes et militants écologistes, pour la plupart placés en garde à vue. Dont Iris. « J’ai été arrêtée vers 11h30, puis emmenée dans un bus. L’arrestation s’était plutôt bien passée, sans violence », raconte-t-elle.
« J’ai dit que je refusais de voir un médecin, mais on m’a répondu que je n’avais pas le choix. »
En arrivant au commissariat du 13e arrondissement de Paris pour y être entendue puis placée en garde à vue, elle découvre que sur la fiche de renseignements qui lui a été assignée, est écrit le terme « rébellion ». « L’officier de police judiciaire (OPJ) m’a expliqué que ça voulait dire que je m’étais débattue et que je pouvais potentiellement être blessée ».
Mais les fiches qui ont été établies au moment des arrestations des manifestants ont toutes été mélangées. Et celle qui est transmise à son arrivée ne semble pas correspondre à celle qui a été dressée quelques heures plus tôt. « J’ai tenté d’expliquer que ma fiche avait été faite par une femme. Que celle qu’ils avaient portait le nom d’un homme, et que donc ça ne pouvait pas être la mienne. D’autant que je ne m’étais absolument pas débattue ».
Forcée à voir un médecin
Malgré son insistance, rien n’y fait. L’officier de police lui explique qu’elle va devoir voir un médecin en raison d’une suspicion de contusions. « J’ai dit que je refusais de voir un médecin, mais on m’a répondu que je n’avais pas le choix ». Une pratique illégale, selon l’avocat d’Iris, Alexis Baudelin, habitué à ce genre d’affaires. « Il est absolument interdit de forcer un gardé à vue à voir un médecin s’il n’en fait pas la demande ou refuse lorsqu’on le lui propose », précise-t-il. Pour l’homme de loi, le terme de “rébellion” inscrit sur la fiche n’y change absolument rien. « Ça, c’est pour protéger les officiers en cas d’interpellation musclée », assure-t-il.
Joint par 20 Minutes, le Service d’information et de communication de la police nationale (Sicop) confirme et précise : « il n’y a en effet aucune obligation. Si l’OPJ estime qu’il y a des risques de blessures, il peut décider d’envoyer d’office le gardé à vue voir un médecin. Mais la personne peut toujours refuser ».
« J’avais peur et j’avais froid »
Après plusieurs heures à attendre en cellule au côté de cinq autres femmes, Iris est enfin appelée par l’OPJ. « On m’a d’abord permis de contacter mon avocat, puis juste après, on m’a emmenée voir le médecin », raconte-t-elle. Lorsqu’elle arrive dans la salle réquisitionnée pour les consultations médicales, elle découvre que la porte de la pièce est vitrée : « juste derrière, il y avait la salle de contrôle avec quatre policiers en train de regarder les écrans des caméras de surveillance. Ils pouvaient clairement me voir ».
Le médecin commence alors à lui poser les questions d’usage pour vérifier la compatibilité des conditions de garde à vue avec l’état physique et mental d’Iris. Une procédure classique dans un cas comme celui-là, à un détail près. « Avec cette porte vitrée, je n’étais pas très à l’aise, se souvient la militante. Le médecin m’a expliqué que, comme sur ma fiche était inscrite la mention “rébellion”, je devais être examinée. Puis il m’a demandé de me déshabiller. Naïvement, j’ai cru qu’il me demandait simplement de me mettre en soutien-gorge et culotte ».
« Ça ressemble aux fouilles intégrales que l’on fait passer aux “mules” dans des affaires de trafic de drogue. »
Iris s’exécute, enlève son tee-shirt mais préfère garder son jean : « j’étais en petit débardeur transparent, je trouvais que c’était déjà bien assez ». Visiblement pas pour le médecin qui lui demande de se déshabiller intégralement, débardeur et petite culotte compris. « Il m’a demandé de me mettre nue. Je me souviens qu’à ce moment-là, je suis sidérée et je coupe totalement. Je n’étais plus vraiment présente, dans ma tête. »
Face à cette figure d’autorité, Iris cède et enlève le haut puis le bas, mais décide de garder sa culotte, malgré la demande du médecin, insistante selon ses dires. « Je me cachais, j’étais toute courbée, toute repliée sur moi-même, raconte-t-elle avec difficulté. J’avais peur et j’avais froid ».
A l’évocation du récit de la militante, une source policière contactée par 20 Minutes se montre choquée des libertés prises par le médecin : « il est là uniquement dans l’intérêt du gardé à vue. Et à aucun moment, il n’a à lui demander de se mettre nu. Ça ressemble aux fouilles intégrales que l’on fait passer aux “mules” dans des affaires de trafic de drogue. Or, dans ce contexte-là, ça n’a absolument pas lieu d’être ». Et de préciser : « tous les examens médicaux doivent avoir lieu dans une pièce fermée sans vitre pour respecter l’intimité du gardé à vue ».
« Ben quoi, vous n’êtes pas à l’aise ? »
Le médecin poursuit son examen, demande à Iris de se tourner, puis se met à se déplacer autour d’elle. « Il voyait bien que j’étais très mal. Il a fini par me demander “Ben quoi, vous n’êtes pas à l’aise ?”. Je lui ai répondu que non, évidemment ». Iris lui demande alors s’il est possible de mettre quelque chose sur la porte vitrée. « Il m’a dit qu’il avait mis un tissu. J’étais de dos, donc sur le moment je l’ai cru. Mais quand je me suis retournée, j’ai vu qu’il n’y avait rien sur la porte vitrée et qu’on pouvait toujours me voir », se souvient-elle.
« Je n’avais plus d’énergie, je me sentais totalement vidée. »
L’examen médical terminé, le médecin l’invite finalement à se rhabiller. Non sans lui faire, au passage, une remarque sur les raisons de sa présence au commissariat. « Il m’a servi un petit discours paternaliste, m’a dit qu’il ne fallait pas que je fasse ce genre de choses, que ça ne servait à rien de me mettre en danger », raconte la jeune femme. Le médecin la raccompagne ensuite vers la sortie, et un officier de police l’emmène au dépôt récupérer ses affaires. Elle ne repassera finalement pas par la case cellule. « Je n’ai pas compris ce qu’il se passait. Je n’avais plus d’énergie, je me sentais totalement vidée. J’ai été invitée à sortir, sans être notifiée de la fin de ma garde à vue », détaille-t-elle.
« Un paquet de thunes » grâce aux militants écolo
Soulagée de pouvoir enfin respirer l’air frais du dehors après plusieurs heures enfermées dans la cellule du commissariat, Iris reste quelques minutes devant le bâtiment, le temps que des proches viennent la chercher. A peine le temps de quelques embrassades, et c’est alors qu’elle entend derrière elle une voix qu’elle ne connaît désormais que trop bien. « Quelques minutes après moi, le médecin est sorti lui aussi, et il s’est dirigé vers nous, se souvient-elle. Il était tout souriant. Il nous a dit qu’il fallait qu’on fasse ça plus souvent le vendredi, parce que grâce à nous, il s’était fait un paquet de thunes ». 57,60 euros l’acte, contre 26,50 euros pour une consultation de médecine générale. Une différence non négligeable, surtout quand on en fait dix dans l’après-midi…
« Je me suis sentie dégueulasse, j’étais très en colère envers moi-même. »
Le médecin parti, Iris commence à questionner timidement les autres jeunes femmes qui se trouvaient avec elle dans la cellule. « Je leur ai demandé si à elles aussi, le médecin leur avait ordonné de se déshabiller intégralement. Elles m’ont répondu que non et semblaient surprises par ma question ».
La jeune femme explique que c’est seulement à ce moment-là qu’elle réalise la gravité de ce qu’elle vient de subir. « Je me suis sentie dégueulasse, j’étais très en colère envers moi-même. J’aurais dû refuser tout ça, je n’aurais pas dû me laisser faire », regrette-t-elle aujourd’hui. Elle affirme que c’est grâce au soutien de ses proches à qui elle a finalement accepté de se livrer qu’elle a réussi à mettre de côté cet épisode douloureux.
Le fonctionnement opaque des unités mobile
Contactés par 20 Minutes, la préfecture de police de Paris ainsi que le parquet de Paris ont affirmé qu’il ne leur était pas possible de retrouver l’identité du médecin. Quant à l’Unité médico-judiciaire (UMJ) de l’hôpital de l’Hôtel-Dieu, dont dépendent généralement les médecins légistes envoyés dans les commissariats parisiens pour intervenir auprès des gardés à vue, leur cheffe de service a répondu par mail à 20 Minutes que « les médecins de l’UMJ de l’Hôtel-Dieu (AP-HP) n’interviennent pas en antenne mobile au sein du commissariat du 13e arrondissement ».
Malgré de nombreuses relances et plusieurs échanges pour tenter de savoir de quelle structure dépendait le médecin qui est intervenu ce 24 mai, ni la préfecture de police de Paris, ni le Sicop n’ont livré d’informations claires. Iris a, de son côté, via son avocat, fait une demande de copie de son dossier auprès du procureur de la République pour tenter d’obtenir le nom du médecin qui l’a reçue. Même si une source policière précise à 20 Minutes qu’il n’est « pas sûr qu’il ait été noté » sur le procès-verbal établi ce jour-là. La militante a également fait une saisine en ligne auprès de l’IGPN.
(*) Le prénom a été modifié pour conserver l’anonymat de la jeune femme
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