Carences alimentaires, intoxication… Pourquoi des dizaines de milliers d’abeilles sont-elles mortes à Strasbourg ?
du miel et plus d’abeilles•Un apiculteur amateur près de Strasbourg a perdu environ 50.000 abeilles, les butineuses, disparues ou retrouvées mortes pour beaucoup devant ses ruchesGilles Varela
C’est un vrai casse-tête et une terrible déception pour un apiculteur amateur alsacien, dans un quartier de Strasbourg, qui a vu en quelques jours, fin avril, entre 40.000 et 60.000 de ses abeilles disparaître ou mourir au pied de son rucher. Une disparition brutale dont le mystère aujourd’hui reste entier, mais un fait divers qui pourrait illustrer une fois encore le déclin alarmant des populations d’abeilles partout dans le monde, souvent lié à l’activité humaine.
Pour l’apiculteur, nul doute. Comme il l’affirmait à nos confrères des Dernières Nouvelles d’Alsace, ses abeilles, principalement les butineuses (celles qui vont chercher le pollen) de ses cinq ruches, ont été intoxiquées, probablement par l’utilisation de produits pulvérisés sur un terrain agricole avoisinant, les abeilles butineuses ne s’aventurant généralement pas loin de la ruche. Des produits qui menacent non seulement la biodiversité, mais aussi la sécurité alimentaire de tous. Car rappelons-le, ces insectes pollinisateurs jouent un rôle essentiel dans notre écosystème et c’est à ces abeilles que l’on doit la reproduction de nombreuses plantes, y compris celles qui produisent les fruits et légumes.
Les intoxications aux produits phytosanitaires
Rappelons encore que l’usage de certains pesticides toujours utilisés dans l’agriculture pour protéger les cultures des ravageurs, comme le glyphosate, ont des effets néfastes sur les abeilles. Ils peuvent affecter leur système nerveux, réduisant leur capacité à trouver des fleurs, à retourner à la ruche, et à se reproduire. Les abeilles exposées à ces pesticides montrent souvent des signes de désorientation et de faiblesse, ce qui peut entraîner la mort de colonies entières, tels les symptômes remarqués par l’apiculteur de Strasbourg.
Une surmortalité, certainement, « mais il faut relativiser » tempère Gérard Lickel, vice-président de la Fédération des apiculteurs du Bas-Rhin. Il détaille à 20 Minutes : « En sachant qu’en moyenne, une ruche chez nous, a environ 80.000 abeilles, perdre 50.000 abeilles sur cinq ruches, bien sûr, c’est grave, mais la reine d’une ruche pond au printemps, quand tout va bien, 2.500 œufs par jour et 2.000 abeilles meurent (la vie d’une abeille est de quarante-cinq jours), précise l’apiculteur. Cela fait 10.000 abeilles pour cinq ruches qui meurent par jour. Ça, c’est la normalité ».
L’affaire de tous
Revenant sur la surmortalité des abeilles de l’apiculteur strasbourgeois, il confirme que cela doit « probablement » provenir d’une intoxication. « Peut-être dans un champ voisin, peut-être aussi que quelqu’un a utilisé des produits phytosanitaires, car, au printemps, de nombreux particuliers font leur ménage et nettoient leurs pavés dans les jardins, avec des produits détergents, ça peut-être ça aussi. »
« C’est difficile de savoir. Il existe également quelque chose que nous appelons le “mal de mai”, phénomène où les abeilles peuvent être en manque de pollen différent, cinq par jour. Il est possible qu’elles n’avaient pas cela, car c’est une saison extrêmement humide cette année, et donc les abeilles ne peuvent pas sortir pour aller butiner quand il pleut, c’est trop dangereux pour elles. Il devait y avoir également quelques carences alimentaires », avance le spécialiste. Une carence à laquelle les apiculteurs tentent de remédier en donnant des compléments alimentaires, de nature protéinée mais aussi en déplaçant les ruches pour trouver un endroit meilleur. « Dès qu’une floraison est finie, on ferme les ruches et on les déplace. On court après une autre récolte », explique Gérard Lickel.
Intoxication aux produits phytosanitaires, Mal de mai, produits détergents des particuliers… voici les causes potentielles de cette surmortalité. Mais un autre danger guette les abeilles. Le traitement contre le moustique tigre. « En cas de très forte chaleur, l’ARS nous informe que l’on va faire un traitement. On distribue le message à tous les apiculteurs pour qu’ils ferment leurs ruches la nuit, mais cette année, on ne l’a pas encore fait, il n’y a pas eu d’alerte. Cette surmortalité peut être due à plein de facteurs, et c’est très difficile de savoir. »
Notre dossier sur les abeillesDifficile mais pas impossible cependant. Lorsqu’un cas de surmortalité est repéré par un apiculteur, il est demandé, par l’Observatoire des mortalités et des affaiblissements de l’abeille mellifère (Omaa), de faire des photos et une vidéo, de prélever un échantillon et d’identifier la ruche atteinte, tout en contactant les autorités. Un guichet régional de l’Omaa pour les régions Bretagne, Pays-de-la-Loire, Auvergne-Rhône-Alpes, soit, pour les autres régions, les directions départementales en charge de la protection des populations, service de la santé animale (DDPP). Ces organismes de l’Etat feront, si la surmortalité est avérée, une visite du rucher et des analyses… De quoi lever le voile, si l’alerte est lancée rapidement par l’apiculteur, sur une partie du mystère de la disparition des abeilles.
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