Au bac de philo, pouvait-on parler Etat, dissolution et législatives ?

Bac 2024 : Ce sujet de philo sur l’Etat, « c’est poser aux jeunes la question du ''nous'' au sein de la nation »

INTERVIEWPeut-on analyser l’un des sujets du bac philo au regard de la vie politique actuelle (de la dissolution aux législatives) ? Eléments de réponse Claire Lebrethon, doyenne de la faculté de philosophie de l’Institut catholique de Toulouse
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • Les candidats au bac ont notamment dû plancher lors de l’épreuve de philosophie sur le sujet : « L’Etat nous doit-il quelque chose ? »
  • Peut-on analyser la dissolution, la campagne et ses excès sous cet angle ? « Totalement », selon Claire Lebrethon, doyenne de la faculté de philosophie de l’Institut catholique de Toulouse.
  • « Cela nous renvoie à notre insatisfaction chronique de l’Etat. On voudrait qu’il soit à notre service, qu’il apporte toutes les solutions », estime la philosophe.

Chaque année, c’est presque un rituel. Commenter frénétiquement les sujets du bac de philo et tenter d’établir un parallèle avec l’actualité. Et qu’importent nos piteux résultats le jour où nous avons dû plancher sur un sujet ou nos souvenirs plus qu’approximatifs de Socrate et Hegel. Alors forcément, lorsqu’on a découvert ce mardi que les candidats avaient notamment planché sur « l’Etat nous doit-il quelque chose ? », difficile de ne pas faire un lien avec la situation politique que nous traversons.

Peut-on analyser la dissolution et les législatives sous cet angle ? Et si l’Etat nous doit quelque chose, nous citoyens, lui devons-nous quelque chose en retour ? Comme nos souvenirs en la matière sont aussi nébuleux que cette campagne, nous sommes allés poser la question à Claire Lebrethon, doyenne de la faculté de philosophie de l’Institut catholique de Toulouse.

Est-ce pertinent d’envisager ce sujet du bac sous l’angle de l’actualité ?

Totalement. Cette question nous renvoie à ce que nous attendons de l’Etat : une promesse de croissance, la garantie des droits fondamentaux, la sécurité, etc. Mais le mot important dans cette question est le « nous ». Ce que nous attendons de l’Etat, est-ce une superposition de revendications personnelles ou est-ce que nous nous englobons dans une Nation, l’intérêt collectif prime-t-il sur l’individuel ? Et c’est bien à ce dilemme que nous renvoie la dissolution. Nous devons choisir ce que nous mettons derrière ce « nous ». Est-ce qu’on vote pour tel parti parce qu’il répond mieux à nos demandes individuelles, ou tel autre dans un souci du bien commun.

Mais cette dissolution nous déstabilise, tant à l’échelle personnelle qu’à celle de la France. Or, si l’Etat nous doit bien une chose n’est-ce pas la stabilité ?

Cela nous renvoie à notre insatisfaction chronique de l’Etat. On voudrait qu’il soit à notre service, qu’il apporte toutes les solutions. La dissolution nous déstabilise donc nous ne sommes pas contents. Mais parallèlement, nous éprouvons une satisfaction dans le fait que les élections à venir déstabilisent l’autorité de l’Etat. Nous avons ainsi la promesse de faire valoir notre voix. Le fait que le régime soit de plus en plus clivant, cela oblige à faire un choix qui engendre des insatisfactions toujours plus grandes. D’où l’envie de régulièrement remettre le pouvoir à sa place.

Dissoudre l’assemblée était-ce un devoir envers les citoyens, notamment en matière de représentativité ?

Non, c’était une décision stratégique, pas un devoir moral ou éthique. Il y a différente manière de donner la parole au peuple. Dans ce cas-ci, cette décision s’intègre dans une stratégie avec une part d’imprévisibilité, cela pose donc la question du bien commun.

Beaucoup de Français disent ne plus rien attendre de l’Etat…

Dans l’Etat, il faut qu’il y ait la possibilité d’une prise de parole des citoyens, qu’ils soient promoteurs des décisions qui seront ensuite prises. Pour accepter l’autorité de l’Etat, il faut avoir le sentiment d’être écouté et entendu. Le problème, c’est que le débat politique devient un objet avec ses propres codes, coupé de la recherche du sens. Et c’est de là que viennent le sentiment de frustration et donc l’abstention.

Fallait-il dire tout cela pour s’assurer d’avoir 18 au bac ?

Non ! Ce n’est jamais une mauvaise chose de citer l’actualité dans un devoir, à condition que cela ne remplace pas une argumentation. Cela doit être un exemple au service de la démonstration. Le risque, c’est de glisser vers une prise de position. Mais ce qui était intéressant dans ce sujet, c’est de poser aux jeunes la question du « nous » au sein de la nation. Cela permet de réfléchir à notre identité de façon plus fondamentale, de quitter l’effervescence du débat clivant.