C’est quoi ces comptes « Fisha » pointés du doigt dans l’affaire Samara ?

Agression d’une collégienne à Montpellier : Face aux comptes « Fisha », le « retard de la France »

CyberharcèlementLes premiers résultats de la « mission flash » réclamée par Nicole Belloubet après l’agression de Samara devant son collège à Montpellier pointent « un usage malveillant et étendu des réseaux sociaux », notamment au travers des comptes « Fisha »
Jérôme Diesnis

Jérôme Diesnis

L'essentiel

  • Les membres de l’Inspection générale de l’éducation enquêtent sur la violente agression dont a été victime Samara, le 2 avril dernier à Montpellier.
  • Ils pointent le rôle des réseaux sociaux et des comptes « Fisha », sur lesquels des jeunes en affichent d’autres, le plus souvent de façon sexiste et sexuelle, afin de leur nuire.
  • Un phénomène d’ampleur qui en appelle à l’éducation numérique, alors que la France a pris beaucoup de retard par rapport à d’autres pays, explique la spécialiste Yasmine Buono.

«Un usage malveillant et étendu des réseaux sociaux. » La diffusion « de photomontages humiliants et de vidéos détournées à l’origine d’un climat d’agressivité entre élèves ». Les membres de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche ont livré leurs premières conclusions. Envoyés à Montpellier par la ministre Nicole Belloubet, ils ont pour objectif de la lumière sur l’enchaînement de circonstances qui a entraîné la violente agression de Samara, âgée de 13 ans, devant son collège, le 2 avril dernier.

Dans le viseur des membres de cette mission, le rôle des comptes « Fisha ». « Afficher » en verlan, autrement dit publier des images de personnes, le plus souvent à caractère sexiste et sexuel. Les jeunes les appellent aussi BDH (pour bandeuses d’hommes) ou BDG (bandeurs de gadjis). Les noms évoluent au gré des modes mais les comptes conservent le même principe : on y affiche des « nudes » pris par les jeunes eux-mêmes à titre privés et souvent publiés par des ex, dans un esprit de vengeance. Ou encore des photos ou vidéos truquées, réalisées avec des montages via des outils de plus en plus accessibles grâce à l’intelligence artificielle, créées par de faux comptes. Elles ont le même but : nuire à la réputation des personnes affichées.

« Le phénomène n’est pas récent, mais il a pris une tout autre ampleur pendant le confinement, explique Yasmine Buono, spécialiste en éducation numérique et en cyberharcèlement. Des comptes appelaient à la surenchère pour le département qui en publierait le plus. Le phénomène touche aujourd’hui les filles, comme les garçons. On affiche les personnes parce qu’elles ne seraient pas respectueuses (infidélité, moeurs jugées douteuses, etc.). »

« Snapchat ou Telegram permettent plus facilement une certaine clandestinité »

Totalement illégale, la pratique est plus répandue sur certains réseaux sociaux. « Snapchat ou Telegram notamment, qui permettent plus facilement une certaine clandestinité », évoque Justine Atlan, directrice générale de l’association e-Enfance et du 3018. Gratuit, anonyme et confidentiel, le 3018 est devenu, depuis septembre et l’annonce du Plan interministériel de lutte contre le harcèlement entre élèves, le numéro national pour les victimes de violences numériques.

« Toutes les applications possèdent un point de signalement, rappelle Justine Atlan. Que l’on soit victime ou témoin de contenus illégaux, il est possible de les signaler à la plateforme concernée ou à Pharos, la plateforme de signalement des contenus illicites. Mais on aimerait que les applis aillent plus loin et que le 3018 soit automatiquement présent sur tous les comptes de ceux qui se déclarent comme ayant moins de 18 ans. » D’autres associations d’aides en ligne existent, comme Stop Fisha. Et, plus généralement, TikTok et Instagram ont commencé à intégrer le 3018 dans leur parcours de signalement. « C’est un bon début, mais on aimerait aller plus loin pour aider plus facilement les jeunes victimes de violences numériques. »

« Les plus jeunes n’ont pas conscience de leurs actes »

« Le problème, c’est la réponse. Parce que derrière ces comptes Fisha, se jouent des questions de réputation et d’honneur. La sienne, mais aussi celle d’une famille ou d’un quartier, reprend Yasmine Buono. Je constate que les jeunes, et notamment les plus jeunes, les collégiens, n’ont absolument pas conscience de leurs actes et tombent dans l’ultra-violence. » Pour cette experte, la France n’a pas encore pris conscience de l’ampleur des dangers du numérique, contrairement à l’Allemagne, au Canada ou aux pays nordiques. « L’arsenal législatif existe. On a les lois pour sanctionner, mais on est en retard sur l’éducation au numérique. On ne peut pas être à chaque fois en réaction, comme dans l’affaire de Samara. On n’a pas pris conscience qu’il n’y a pas de frontières entre vie réelle et vie en ligne, poursuit Yasmine Buono. Nous avons donné des téléphones aux jeunes. Il faut les éduquer à leurs responsabilités, à la conséquence de leurs actes. Leur expliquer qu’ils ont des droits mais aussi des devoirs. Ce qu’on appelle la citoyenneté numérique qui est une notion aujourd’hui mal comprise. »

« Les enseignants pas formés à ces problèmes »

« C’est une responsabilité partagée. Celle des plateformes qui régulent trop peu. Celles des parents qui sont pour la plupart dépassés et c’est normal : à l’ère du numérique, comment peut-on contrôler un écran ? Les enfants sont confrontés quotidiennement à de l’embrigadement, comme celui des influenceurs, ou à des situations dont ils n’ont même jamais entendu parler. Et enfin, celle des pouvoirs publics ».

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« Après ce qui est arrivé à Samara, j’ai posé la question à ma fille si elle connaissait ce genre de comptes, explique à 20 Minutes Sophie, la mère d’une élève de 4e. Elle m’a dit ''oui, bien sûr''. Alors qu’on partage énormément, je suis tombée des nues quand elle m’a fait cette réponse. Elle me l’a dit de façon tellement naturelle que j’ai compris que les enfants étaient régulièrement confrontés à ce genre de choses ». Dans les nombreux établissements scolaires où elle intervient, Yasmine Buono rencontre des enseignants « alertés, mais pour beaucoup démunis car ils ne sont pas formés pour répondre à ces problèmes. Et il y a une urgence à le faire ».