En 2100, sera-t-on 10 milliards de grabataires sur Terre ?
Démographie•La fécondité est insuffisante pour maintenir la population en l’état dans la majorité des pays, souligne une étude récente. Le point sur les conséquences de ce constat pour le futur de l’humanité
Laure Beaudonnet
L'essentiel
- Selon une étude publiée par The Lancet qui se base sur les chiffres du Global Burden of Disease, plus de la moitié des pays observent un taux de fécondité trop faible pour maintenir le niveau de leur population.
- Pourtant, les Nations Unies prévoient 10 milliards d’êtres humains sur la planète en 2100.
- On fait le point sur les projections démographiques avec Géraldine Duthé, directrice de recherche à l’Institut national d’études démographiques (Ined) et Gilles Pison, professeur émérite au Muséum national d’histoire naturelle, conseiller de la direction de l’INED.
«On est autant effrayés par la baisse de la fécondité que par la surpopulation », note Géraldine Duthé, directrice de recherche à l’Institut national d’études démographiques (Ined). Si on dit qu’on ne fait plus assez d’enfants, c’est la cata. Et quand on annonce 10 milliards d’êtres humains pour 2100, on hurle à la surpopulation. La dernière étude en date, publiée par la revue The Lancet jeudi dernier, qui se base sur les chiffres du Global Burden of Disease, n’est guère plus rassurante. Selon elle, plus de la moitié des pays observent un taux de fécondité trop faible pour maintenir le niveau de leur population. En 2020, elle prévoyait un pic de la population mondiale à 9,73 milliards en 2064 avant de décroître en 2100.
Pas mieux du côté des Nations Unies. « Le 15 novembre 2022, la population mondiale a atteint 8 milliards de personnes », peut-on lire sur son site. Il a fallu douze ans pour passer de 7 à 8 milliards et il en faudra quinze pour passer à 9 milliards. Selon les prévisions de l’organisation internationale, en 2100, on sera environ 10,4 milliards à cohabiter. Déclin de l’humanité ou surpopulation ? Les deux, mon capitaine.
Pourquoi ne peut-on pas empêcher d’atteindre 10 milliards d’humains sur Terre ?
« On n’échappera pas à ce surcroît de deux milliards, en raison de l’inertie démographique [le décalage entre la baisse de la natalité et la diminution de la population]. On ne peut pas l’empêcher », explique Gilles Pison, professeur émérite au Muséum national d’histoire naturelle, conseiller de la direction de l’INED et auteur de L’Atlas de la population mondiale (Editions Autrement). Même si les femmes ont peu d’enfants, il y a encore deux fois plus de naissances que de décès à l’échelle mondiale.
« Dans une population, si vous avez beaucoup de femmes qui sont en âge d’avoir des enfants, même si elles en font un peu moins que la génération d’avant, vous aurez beaucoup de naissances, complète Géraldine Duthé. Il y a un simple effet d’inertie ». Et le calcul ne sort pas de nulle part. « On peut estimer sans trop d’erreurs les bébés qui vont naître car les femmes qui vont mettre des enfants au monde dans les vingt-six prochaines années, pour la plupart, sont déjà nées », poursuit le démographe.
Le réchauffement climatique ne va-t-il pas décimer la population ?
« Ce n’est pas le plus probable, rétorque Gilles Pison. Le plus probable c’est que les tendances démographiques d’aujourd’hui se poursuivent. Les femmes et les hommes ont de moins en moins d’enfants partout sur la planète ». Les estimations ne prévoient pas une surmortalité liée au réchauffement climatique, plutôt des flux migratoires qui pourraient faire évoluer les comportements démographiques. « On anticipe que les gens vont se déplacer avant de mourir sur place, c’est une vision plus optimiste des choses. Il y aura d’abord des déplacements de populations », souligne Géraldine Duthé. La chercheuse rappelle que même des grandes crises sanitaires comme le VIH-Sida ou le Covid-19 n’ont pas eu d’effet sur la population mondiale.
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le nombre total de décès associés directement ou indirectement à la pandémie de Covid-19 entre le 1er janvier 2020 et le 31 décembre 2021 était d’environ 14,9 millions. Le bilan est important mais la mortalité a eu un effet temporaire sur le poids de la population mondiale. « Le dernier exemple de baisse de la population mondiale liée à une crise sanitaire, c’est la peste noire au Moyen Age, insiste Géraldine Duthé. Aujourd’hui, il faut compter douze ans pour passer d’un milliard à un autre. Une cause de décès très forte infléchit très peu l’évolution de la population dans son ensemble ». « L’hypothèse que l’humanité va être décimée par une pandémie n’est pas la plus probable », conclut Gilles Pison.
Le problème d’infertilité n’est-il pas LA solution à la surpopulation ?
De plus en plus de couples galèrent à avoir un enfant. En 2022, l’infertilité touchait un couple sur quatre selon les chiffres publiés par l’Agence de la biomédecine. Mi-janvier, Emmanuel Macron a même annoncé le lancement d’un « grand plan » pour lutter contre ce « fléau ». On pourrait croire que cette infertilité a un effet sur la population mondiale. Mais non. « Cela ne change pas beaucoup en termes de fécondité. Quand un couple d’âge moyen décide d’avoir un enfant, il y a un délai de conception qui est déjà de 5 ou 6 mois pour des couples normalement fertiles. L’infertilité n’empêche pas la plupart des couples d’avoir des enfants, elle allonge le délai de conception », pointe Gilles Pison. Le plus important, selon lui, c’est le désir d’enfant. « La baisse de la fécondité à l’échelle mondiale ne tient pas à des problèmes d’environnement ou de stérilité, pour l’instant », analyse-t-il. Mais au désir (ou non) d’avoir un enfant.
Peut-on survivre à 10 milliards ?
« On pourrait se poser la même question pour les 8 milliards d’humains qui peuplent la Terre d’aujourd’hui, sourit Gilles Pison. Demain, on sera 10 milliards, mais on ne sera pas des centaines de milliards ». Selon lui, il faut travailler sur des modes de vie plus respectueuses de l’environnement et de la biodiversité. « La vraie question, et dont dépend la survie de l’espèce humaine à terme, c’est finalement moins celle du nombre que celle des modes de vie, observe-t-il. Nous, habitants des pays d’Europe et des Etats-Unis, avons une responsabilité particulière. Nos activités sont responsables du réchauffement climatique, même si d’autres pays se sont rajoutés. Et nos modes de vie servent de modèles à l’ensemble de la planète ». En d’autres termes, montrons l’exemple. On ne peut pas lutter contre les deux milliards d’êtres humains en plus, mais on peut agir sur nos comportements pour favoriser des modes de vie responsables et durables.
Que va-t-il se passer pour tous ces vieux ?
Le vieillissement de la population revient systématiquement dans les débats sur la réforme des retraites. Mais le phénomène concerne tous les pays. Et son moteur n’est pas l’espérance de vie, mais bien la baisse des naissances. « Moins d’enfants naissent, du coup, on a une population âgée, qui est dépendante et dont il faut prendre soin », alerte Géraldine Duthé. « C’est l’un des défis majeurs de ce siècle », complète Gilles Pison. Le vieillissement démographique se produit beaucoup plus rapidement dans les pays du Sud qu’il ne s’est produit dans les pays du Nord, dont la baisse de la fécondité et l’allongement de la vie ont commencé plus tôt. Ils ont eu un peu plus de temps pour voir venir le problème et mettre en place des systèmes de retraites.
« Les pays d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique connaissent les mêmes évolutions avec un allongement de la vie et une diminution de la fécondité, mais le vieillissement démographique se déroule beaucoup plus vite, s’inquiète le démographe. Et ils n’y sont pas préparés. Il faut se dépêcher de mettre en place des systèmes de solidarité collective s’ils ne veulent pas que les adultes qui ont contribué au développement économique et à la croissance de ces pays ne finissent leur vie dans la misère ». Selon lui, le phénomène est presque plus aigu dans ces pays qui ne sont pas préparés au choc.
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