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En Bretagne, l’ultradroite sort du bois et montre les muscles

Bretagne : L’ultradroite sort du bois et montre les muscles... « Un climat de terreur jamais connu ici »

marée bruneDepuis l’épisode de Callac, où un projet d’accueil de réfugiés a été abandonné début 2023 sous la pression de l’extrême droite, les actes violents et tentatives d’intimidations attribués à des groupuscules radicaux se multiplient dans la région
Jérôme Gicquel

Jérôme Gicquel

L'essentiel

  • Terre traditionnellement hostile à l’extrême droite, la Bretagne connaît depuis plusieurs mois une montée des violences attribuées à l’ultradroite.
  • Le point de départ de ce déferlement de haine a eu lieu à Callac, une petite bourgade rurale où un projet d’accueil de réfugiés a cristallisé les tensions à l’automne 2022.
  • En mai 2023, ce sont des militants du mouvement catholique intégriste Civitas qui avaient perturbé la tenue d’un concert dans une église à Carnac. Deux d’entre eux sont jugés ce mercredi devant le tribunal judiciaire de Lorient.

Le concert n’avait pas encore commencé quand ils avaient fait irruption, récitant des prières et proférant des « Arrière Satan ! » à qui s’approchait d’eux. Le 13 mai, une trentaine de membres du mouvement catholique intégriste Civitas avaient déboulé dans l’enceinte de l’église Saint-Cornély à Carnac (Morbihan), où devait se produire l’organiste américaine Kati Malone. Sous la pression de ces fanatiques « à la nuque bien dégagée », qui jugeaient le spectacle « profanatoire », le maire, Olivier Lepick, avait préféré l’annuler avant de déposer plainte, dénonçant des violences « de nature profondément totalitaire qui voudrait imposer à autrui des convictions radicales par la force. »

Dix mois plus tard, deux militants de Civitas, organisation officiellement dissoute cet automne, sont convoqués ce mercredi devant le tribunal judiciaire de Lorient pour entrave à la liberté d’expression et violence volontaire sur une élue, qui avait reçu une gifle dans les échauffourées. Un acte loin d'être isolé, car cette opération coup de poing s’inscrit dans un contexte de montée globale des actions violentes et des tentatives d’intimidations attribuées à l’ultradroite ces derniers mois en Bretagne, une région jusque-là épargnée par ce phénomène. « C’est très grave de laisser s’installer ce climat de terreur que l’on n’a jamais connu par ici », alerte Sylvain, du syndicat Solidaires 29.

Tentative d’incendie d’une mosquée, tracts néonazis…

La situation est jugée si grave que plusieurs organisations syndicales, politiques et associatives ont décidé de réagir en début d’année en créant « le collectif de riposte à l’extrême droite en Bretagne. » Il recense pour l’heure tous les actes racistes et xénophobes, ainsi que les agressions et menaces, imputables selon eux à l’ultradroite depuis un an et demi. Et la liste est longue : tentative d’incendie de la mosquée de Morlaix, perturbation d’un atelier de lecture pour enfants animé par des drag-queens, distribution de tracts néonazis dans les boîtes de lettres, attaque d’un festival antifasciste à Saint-Brieuc, menaces de mort visant des élus ou des journalistes…

Sans compter les innombrables tags régulièrement découverts sur les murs d’universités, de locaux syndicaux ou de bâtiments municipaux. « C’est devenu tristement banal et c’est dramatique », indique la députée insoumise des Côtes-d’Armor Murielle Lepvraud. Et de pointer, comme les autres membres du collectif, « le rôle central » joué par des sites comme Riposte Laïque ou Breizh Info « dans la propagation de la haine en ligne. »

« La bataille de Callac » comme élément déclencheur

Le point de départ de cette vague de violence touchant la région - où le vote d’extrême droite est le plus faible du pays, bien qu’il progresse à chaque élection - se situe dans le centre Bretagne. A Callac plus précisément, petite bourgade rurale des Côtes-d’Armor d’un peu plus de 2.000 âmes. Comme à Saint-Brévin-les-Pins, c’est l’annonce de l’ouverture d’un lieu d’accueil pour les réfugiés qui a mis le feu aux poudres. A l’automne 2022, le paisible bourg breton a ainsi été plongé dans une ambiance délétère avec deux manifestations orchestrées par l’extrême droite, notamment par le parti Reconquête d’Éric Zemmour.

Après avoir reçu de nombreux courriers de menaces ou d'intimidations, le maire de Callac (et non Cloac) avait préféré renoncer au projet de centre d'accueil pour réfugiés sur sa commune.
Après avoir reçu de nombreux courriers de menaces ou d'intimidations, le maire de Callac (et non Cloac) avait préféré renoncer au projet de centre d'accueil pour réfugiés sur sa commune.  - M. Pattier/AP/SIPA

Plusieurs élus locaux, à commencer par le maire, ont également été la cible de menaces ou d’intimidations. A tel point que Jean-Yves Rolland, maire divers gauche de Callac, a préféré jeter l’éponge en janvier 2023. Initiateur du projet Horizon, le fonds de dotation Merci avait alors dénoncé « une campagne nauséabonde aux relents racistes et antisémites » de la part « de groupes et de médias d’extrême droite visant à diviser la population et à déstabiliser le conseil municipal. »

Pas bien nombreux mais actifs et bruyants

Erwan Chartier-Le Floch se souvient très bien de cette « bataille de Callac », qui a laissé des traces dans la commune. Rédacteur en chef de l’hebdomadaire Le Poher, le journaliste a lui-même reçu des menaces de mort émanant de groupuscules d’extrême droite à cette période, avant que les locaux du journal basé à Carhaix ne soient visés par une alerte à la bombe. « On a vraiment pris cet épisode en pleine figure ici, car personne n’était préparé ni habitué à un tel déferlement de haine et d’injures », indique Erwan Chartier-Le Floch, qui a retranscrit ces événements dans le livre Callac de Bretagne ou les obsessions de l’extrême droite française (ed. Le Penn Bazh), publié l’an dernier.

Selon lui, l’abandon du projet a sonné comme « une victoire symbolique » pour la mouvance d’extrême droite en Bretagne. En son sein, on retrouve des groupuscules comme An Tour-Tan à Vannes ou L’Oriflamme à Rennes (dont le leader avait été condamné en octobre dernier). Leurs rangs ne sont certes pas bien fournis, mais ils se montrent désormais actifs et bruyants sur cette terre qui leur a longtemps été hostile. De quoi inquiéter les autorités. « Longtemps préservée des idées nauséabondes véhiculées par les nostalgiques du IIIe Reich, les racistes et les antisémites, la Bretagne n’est malheureusement plus épargnée », déplorait ainsi, cet été dans Ouest-France, le préfet des Côtes-d’Armor, Stéphane Rouvé, lors d’un déplacement sur un haut lieu de la Résistance profané quelques jours plus tôt.

« Mais si l’extrême droite joue du coup de poing, nous n’avons pas l’intention de nous laisser faire. Et puisque nous sommes en démocratie, nous avons bien l’intention de la défendre », prévient Sylvain de Solidaires 29.