Le drapeau corse représente-t-il une « tête d’arabe décapité » ?
Fake off•Objet de légendes, de débats et de controverses, sait-on vraiment ce que signifie le drapeau de la Corse, représentant la tête d’un homme noir surmontée d’un bandeau blanc ?Mikaël Libert
L'essentiel
- Régulièrement, sur les réseaux sociaux, une polémique autour du drapeau de la Corse ressurgit, fustigeant la tête de Maure comme un symbole raciste.
- Il existe plusieurs légendes au sujet de la signification de ce drapeau, et de nombreuses penchent effectivement dans cette direction.
- Pour autant, les historiens n’accréditent pas ces thèses, notamment Michel Vergé-Franceschi. Pour lui, ce drapeau représente la tête d’un saint chrétien martyrisé.
Le drapeau de la Corse ne laisse pas indifférent, tant il est unique en son genre. Cette tête de Maure portant un bandeau sur le front fait d’autant plus causer qu’il n’existe pas de version officielle quant à la symbolique qu’elle représente. Toujours est-il que la version raciste de l’histoire est régulièrement remise sur la table, notamment sur les réseaux sociaux. Les internautes crient au scandale de voir ainsi une « tête d’arabe décapité » érigée en symbole d’un peuple.
Pour tenter de se rapprocher de la vérité, 20 Minutes a contacté Michel Vergé-Franceschi, historien et professeur émérite des universités.
FAKE OFF
Si la polémique autour du drapeau de la Corse ne date pas d’hier, elle s’est toutefois accentuée en 2018, lorsqu’une pétition a été lancée pour demander l’interdiction de le hisser dans les espaces publics. Le motif, repris de nombreuses fois sur les réseaux depuis, était que ce drapeau représenterait « un Maghrébin décapité ».
Lancée par une certaine Samira, présentée comme militante antiraciste, cette pétition n’a recueilli que 785 signatures. Mais elle a aussi réveillé l’extrême droite : « On voit revenir périodiquement, notamment sur Facebook, ces deux extrêmes, entre ceux qui croient y voir un arabe décapité et qui s’en offusquent et ceux qui s’en réjouissent », déplore Michel Vergé-Franceschi.
Trois légendes et une théorie
Il y a trois principales légendes autour de l’origine du drapeau de la Corse, et toutes vont d’ailleurs dans le sens des offusqués, chacune se terminant par la décapitation d’un « Maure musulman ». Pour autant, les historiens n’accréditent pas ces hypothèses. « L’histoire de la tête de Maure se découpe en trois et apparaît pour la première fois entre le XIVe et le début du XVe siècle sur un armorial aragonais et qui fait effectivement référence à la lutte contre les Sarrazins », explique l’historien. Sur cette tête, le personnage porte un bandeau sur le front.
Mais une autre tête de Maure apparaît en Corse en 1736. « Pour la première fois, elle a les yeux bandés », poursuit Michel Vergé-Franceschi. Cette représentation vient de Théodore de Neuhoff, seul roi à avoir régné sur la Corse. D’origine allemande, ce souverain a fait sien ce symbole en référence au martyr de Saint-Maurice d’Agaune, un noir égyptien ayant adopté la religion chrétienne, devenu le patron du saint empire romain germanique.
« Pas un arabe décapité mais un saint martyrisé »
La dernière représentation de la tête de Maure est celle que l’on connaît aujourd’hui. Elle est arrivée en 1762, avec Pascal Paoli, un des personnages emblématiques de l’île. « Pour Pascal Paoli, qui est franc-maçon, le bandeau sur les yeux est un signe négatif, obscurantiste. Il a décidé de remonter le bandeau au-dessus des yeux en disant : “maintenant que je suis là, il faut que l’obscurantisme cesse et que les Corses y voient enfin clair” », raconte l’historien.
Pour Michel Vergé-Franceschi, il n’y a donc pas de confusion possible, « la tête de Maure actuelle est bien celle de saint Maurice à qui on a retiré le bandeau des yeux et non celle d’un Sarrazin ». Aux racistes qui voudraient que cette tête soit celle d’un arabe ou aux autres qui s’en émeuvent, l’historien rétorque : « Ce n’est pas un arabe à qui l’on aurait coupé la tête, au contraire, c’est un saint chrétien noir martyrisé par des païens qui étaient des Romains ».
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