Peut-on vraiment mourir de chagrin ?

Meurtre de Lola : Peut-on vraiment mourir de chagrin ou du « syndrome du cœur brisé » ?

TragédieLe père de Lola, tuée en octobre 2022 à Paris, est mort subitement, vendredi. « Sa crise cardiaque est l’épilogue de cette descente aux enfers », selon son avocate
Mikaël Libert

Mikaël Libert

L'essentiel

  • En octobre 2022, Lola, une fillette de 12 ans a été retrouvée morte dans une malle dans le XIXe arrondissement de Paris. Vendredi, son père Johan Daviet, est décédé brutalement à l’âge de 49 ans.
  • Selon son avocate, le père de la petite fille sauvagement assassinée a été emporté par une crise cardiaque, « épilogue de cette descente aux enfers », et qui serait liée à son chagrin.
  • Il existe un syndrome appelé « syndrome du cœur brisé » ou « syndrome de Takotsubo », qui peut provoquer une paralysie du cœur par des hormones de stress qui peut engendrer un arrêt cardiaque, à la suite d’un choc émotionnel intense, positif ou négatif. Le diagnostic ne peut être posé qu’une fois le patient hospitalisé et soumis à une IRM. La mortalité est inférieure à 3 %.
  • Le « syndrome du cœur brisé » touche en majorité des femmes ménopausées, soumises à un état anxieux chronique. Une charge mentale ou physique très importante en peu de temps peut déclencher ce syndrome.

Vendredi dernier, Johan Daviet, le père de Lola, la fillette de 12 ans retrouvée morte en octobre 2022 dans une malle dans le XIXe arrondissement de Paris, est décédé brutalement à l’âge de 49 ans, à Fouquereuil près de Béthune (Pas-de-Calais). Il a été emporté par une crise cardiaque, « épilogue de cette descente aux enfers », a confié son avocate. Si les causes de sa mort restent naturelles, son décès semble lié au drame qui avait frappé sa famille. Alors, est-il vraiment possible de mourir de chagrin, après avoir vécu une tragédie ?

Mourir de chagrin n’est pas un effet de langage, c’est une réalité. Plusieurs cas ont été rapportés dans le monde. Au mois d’août 2011, en Grande-Bretagne, une jeune femme de 25 ans succombait à une crise cardiaque, deux heures après avoir appris le décès de sa meilleure amie. C’est aussi un malaise cardiaque qui a emporté un homme de 93 ans lorsqu’il a appris la disparition de toute sa famille dans le crash du vol MH17 de la Malysia Airlines, en juillet 2014. Le mari d’une enseignante, tuée lors de la fusillade de mai 2022 au Texas, n’a pas non plus survécu à une crise cardiaque, survenue deux jours après le drame. Il y a aussi cette Britannique de 32 ans, dont le cœur s’est arrêté quelques jours après la mort de son fils et de son grand-père, en décembre 2017.

Dans chacun de ces cas, et bien d’autres encore, il a été évoqué un « syndrome du cœur brisé », aussi appelé « syndrome de ballonnement apical » ou « cardiomyopathie de stress ». Mais l’appellation la plus communément utilisée est « syndrome de Takotsubo ». Ce nom a été donné à cette pathologie par les médecins japonais qui l’ont identifiée dans les années 1990. Leur travail a d’ailleurs été reconnu par un collège d’experts internationaux, en 2018, et il a fait l’objet d’un document consensuel établissant les caractéristiques cliniques, les critères diagnostiques et la physiopathologie de ce syndrome.

« Cœur brisé » ou « cœur joyeux »

« On dit aussi syndrome du cœur joyeux puisqu’un Takotsubo peut résulter d’une grosse émotion positive ou négative », indique le professeur Claire Mounier, cardiologue au CHU de Lille et cofondatrice de la fondation Agir pour le cœur des femmes. « Mais ça peut être aussi dû à un stress physique, comme la peur d’une intervention chirurgicale par exemple », ajoute-t-elle.

Cette notion de « charge de stress mentale ou physique très importante en peu de temps » peut engendrer un syndrome de Takotsubo sur n’importe qui, quel que soit l’âge, même s’il existe un portrait-robot des personnes à risque : « c’est plutôt une femme, ménopausée donc privée d’œstrogènes, soumise à un état anxieux chronique », décrit la cardiologue. « Une charge mentale supplémentaire va arriver sur un niveau de stress moyen important et une succession d’exposition à des situations stressantes va faire qu’à un moment, la ligne rouge va être franchie », poursuit-elle.

Un diagnostic impossible post-mortem

Cela se traduit par une douleur en étau qui comprime le thorax et va dans la mâchoire et le bras : « ça mime un infarctus, avec une paralysie du cœur par des hormones de stress qui peut engendrer un arrêt cardiaque », assure la cardiologue. Très proche de l’infarctus donc, le diagnostic d’un Takotsubo ne peut être posé qu’une fois le patient hospitalisé et soumis à une IRM. Selon le professeur Mounier, le nombre de cas est assez restreint, quelques milliers par an en France, et la mortalité ne dépasse pas 3 %.

Si l’on peut diagnostiquer un syndrome de Takotsubo sur un patient vivant, c’est impossible en cas de décès avant l’hospitalisation, à moins qu’une autopsie soit diligentée. Affirmer qu’une personne est morte d’un syndrome du cœur brisé relève plutôt d’un abus de langage dans certains cas, à l’image de ce père, mort d’un arrêt cardiaque trois ans après avoir perdu son fils lors de l’attentat de Nice.

Pour le professeur Mounier, « le Takotsubo survient tout de suite après le choc intense ou dans les jours qui suivent, assure-t-elle. Le chagrin à long terme peut donner des arrêts cardiaques, mais ce n’est pas ce qu’il y a de plus fréquent ».