Mort d’Alexeï Navalny : D’anti-immigration à anticorruption, itinéraire du meilleur opposant à Vladimir Poutine
Disparition•Alexeï Navalny incarnait ce qu’il reste d’opposition politique à Vladimir Poutine. Il est mort ce vendredi dans une colonie pénitentiaire du fond de l’Arctique russeAlexandre Vella
L'essentiel
- Alexeï Navalny est mort ce vendredi dans une colonie pénitentiaire de l’Arctique russe.
- Il était la principale figure d’opposition à Vladimir Poutine ces dix dernières années.
- « 20 Minutes » revient sur son parcours hors norme.
Opposant à Vladimir Poutine est sans doute à l’heure actuelle le boulot le plus dangereux du monde. Et ce ne sont pas les proches d’Alexeï Navalny, mort ce vendredi dans la colonie pénitentiaire numéro 3 du fond de l’Arctique russe, baptisée « Loup polaire », qui diront le contraire.
Quarante-sept ans, c’est jeune pour mourir, et déjà tous les regards de ses soutiens comme de la communauté internationale se porte sur le Kremlin dont Navalny avait été un des plus farouches opposants. Retour sur la vie de cet « enfermé », avocat de formation aux multiples séjours en prisons et candidat empêché aux élections qui avait survécu à un empoisonnement peu avant sa dernière incarcération.
Une jeunesse remarquée et favorisée
Un père né en Ukraine aux abords de Tchernobyl, une mère originaire des environs de la capitale, des parents directeurs d’une usine de paniers en osier, Alexeï Navalny était plutôt bien parti dans la vie lors de sa naissance le 4 juin 1976 en banlieue de Moscou. Adolescent, il voit l’effondrement du bloc soviétique et n’a que 24 ans lorsque Vladimir Poutine s’installe sur le trône du Kremlin pour ne plus jamais le lâcher. Alors étudiant, Alexeï Navalny ne semble pas encore être en opposition frontale avec le pouvoir : Après des études de droit, il rejoint en 2001 l’université des finances du gouvernement russe avant d’être remarqué par le champion d’échec Garry Kasparov qui le recommande à l’université américaine de Yale, où il est scolarisé en 2009-2010 dans le cadre du programme « World Fellows », destiné aux « leaders mondiaux en devenir ».
Il a alors bonne presse en Russie. En 2009, Alexeï Navalny est désigné personnalité de l’année par le journal économique russe « Vedomost », un quotidien relativement critique du pouvoir politique à l’époque.
Retour des US, personnalité de l’année et premiers engagements
C’est autour de cette période, au retour des Etats-Unis du jeune trentenaire, que commencent son engagement politique et ses problèmes. A trente ans et au tournant des années 2010, Navalny comprend l’importance des réseaux sociaux. Blog, YouTube (6,2 millions d’abonnés), Instagram (2,9M) Twitter (2,9M), Navalny s’appuie sur les outils de son temps pour critiquer le pouvoir russe et particulièrement sa corruption économique. Russie unie (le parti de Vladimir Poutine) est le « parti des voleurs et des escrocs », déclare en 2011 Alexeï Navalny qui crée la même année la Fondation anticorruption et s’engage dans le mouvement de contestation des élections législatives. Brièvement incarcéré entre le 5 et 20 décembre 2011, Il participe dès sa sortie de prison à l’une des plus fortes manifestations d’opposition à Poutine qui réunit 120.000 personnes, selon ses organisateurs, et émerge alors comme la principale figure d’opposition au régime.
Début en politique, orientation ultra nationaliste et incarcérations à répétition
Fort de son nouveau statut, Alexeï Navalny décide de se lancer dans le grand bain politique en se portant candidat à la mairie de Moscou. Mais avant de faire de la lutte contre la corruption son fonds de commerce électoral, Navalny à d’abord fait campagne sur la lutte contre l’immigration. Une orientation identitaire et nationaliste qu’il exprimait déjà en 2007, dans une vidéo où il assimilait les migrants et plus particulièrement les musulmans à des « cafards et des mouches » dont il faut se débarrasser, au besoin avec « l’usage du pistolet », rapportait Courrier International dans un article de 2021. Une pensée qui l’a suivie au moins jusqu’en 2011 année au cours de laquelle Alexeï Navalny défile à la “Marche russe”, un mouvement ultra nationaliste.
Des prises de position qui ne lui permettront pas de remporter l’élection municipale, pas particulièrement entachée d’irrégularités, mais qui commence à attirer sérieusement l’attention du pouvoir. Se multiplient alors les procès et les accusations. En juillet 2013, il est condamné à cinq ans de camps avec sursis pour détournement de fonds, dans un procès qualifié de « politique » par l’Union Européenne. L’année suivante il est assigné à résidence pendant environ un an durant laquelle il se prépare à candidater à l’élection présidentielle de 2018.
D’opposant politique à « agent de l’étranger » empoisonné
Alexeï Navalny axe alors son discours essentiellement sur la lutte contre la corruption et organise en mars 2017 à Moscou une manifestation à Moscou sur ce thème pour laquelle il est incarcéré un peu moins d’un mois. Et même si les sondages russes ne lui donnent que 2 % d’intention de vote, la commission électorale refuse sa candidature en raison de sa condamnation pour détournement de fonds.
L’opposant politique continue toutefois à multiplier les appels à manifestations auxquels répondent de multiples courts séjours en prison entre 2017 et 2020. En 2019, la justice russe range son ONG anticorruption « agent de l’étranger ». Il s’oppose et fait campagne contre la réforme constitutionnelle russe, soumise à référendum en juillet 2020, et qui a autorisé Vladimir Poutine à dépasser le nombre limite de mandats. Un mois plus tard, il sombre dans le coma pendant un vol reliant Tomsk à Moscou, très vraisemblablement victime d’un empoisonnement.
Retour en Russie et mort
Evacué vers l’Allemagne où il récupère peu à peu, Alexeï Navalny repart au combat et retourne en Russie où il est arrêté le 17 janvier 2021 à la descente de l’avion. Malgré la mobilisation en Russie qui réunie près de 100.000 personnes dans une manifestation contre son arrestation et les condamnations de la communauté internationale, Alexeï Navalny enchaîne les procès depuis sa détention. En mars 2022 il est condamné à neuf années d’internement pour « escroquerie », tandis qu’il purgeait depuis un an une peine de trois années et demie pour « fraude ». Suit une peine d'élimination de dix-neuf de ans de prison pour « extrémisme » prononcée en août dernier.
Depuis sa colonie pénitentiaire de l’Arctique Russie où il etait incarcéré, Alexeï Navalny a appelé à s’opposer à l’invasion russe de l’Ukraine et continue malgré tout à alimenter son blog avec un « journal de prison ». La dernière entrée date du 9 décembre, « Je connais Ilia Iachine depuis ses 18 ans. Il est certainement le premier ami que je me sois fait en politique. Iachine a écopé aujourd’hui de huit ans et demi de prison pour avoir fait sur Internet une déclaration contre la guerre », avait-il écrit après avoir décrit ses conditions de détention où il pouvait « perdre jusqu’à 3,5 kg tous les dix jours », lorsqu’il était placé au mitard.
Décédé ce vendredi à 47 ans, Alexeï Navalny laisse sa femme et deux enfants derrière lui. En plus d’un fauteuil de premier opposant à Vladimir Poutine.