Neige à l’écranIl y a 50 ans, un attentat privait un million de Bretons de télévision

Bretagne : « Il ne nous reste que le tiercé et la lecture »… Quand un attentat éteignait la télé

Neige à l’écranIl y a cinquante ans, les indépendantistes avaient fait sauter l’émetteur ORTF des Monts d’Arrée pour dénoncer la faible place de la langue bretonne à la télévision
Camille Allain

C. A. avec AFP

Il y a laissé sa vie. Le 14 février 1974, le directeur du site de l’ORTF découvre avec stupeur que l’immense antenne qui toisait les Monts d’Arrée a été explosée. Il ne s’en remettra pas et décédera d’une crise cardiaque, faisant de lui l’unique victime indirecte de cet attentat. Revendiquée par des indépendantistes bretons, cette attaque d’un récepteur avait été perpétrée dans la nuit du 13 au 14 février 1974 dans un contexte de défense de la langue bretonne. Les conséquences pour les habitants d’une moitié ouest de la région avaient été immédiates, privant environ un million de Bretons de leur télévision.

Le Roc'h Tredudon, à Plouneour-Menez, accueille toujours un récepteur sur ce point culminant du Finistère où un attentat avait été perpétré il y a cinquante ans jour pour jour.
Le Roc'h Tredudon, à Plouneour-Menez, accueille toujours un récepteur sur ce point culminant du Finistère où un attentat avait été perpétré il y a cinquante ans jour pour jour. - F. Tanneau/AFP

Pendant plusieurs semaines, les habitants ne voient que de la neige sur leur écran bombé à tube cathodique. « Il ne nous reste que le tiercé et la lecture », avait témoigné un habitant du Finistère à un journaliste du Monde. Des camions-émetteurs avaient été déployés pour permettre aux habitants de suivre les aventures télévisées de Tarzan, Arsène Lupin ou Louis de Funès.

« Un attentat retentissant » sur un pylône de 222 mètres de haut

Cet attentat avait été revendiqué par les indépendantistes du Front de Libération de la Bretagne (FLB) qui avaient laissé sur place un carton où il était écrit « FLB-ARB evit ar brezhoneg » soit « FLB-ARB pour la langue bretonne ». Ces derniers avaient plastiqué l’émetteur de Roc’h Trédudon, faisant tomber à terre le pylône ORTF de 222 mètres de haut. « C’est un attentat retentissant par sa cible et par sa technicité. On voit bien que des militaires ou d’anciens militaires y ont participé », décrit Erwan Chartier, auteur du livre « Roc’h Trédudon 1974, la bombe et le pylône ». Par cet acte, les indépendantistes bretons voulaient s’en prendre à une « télévision d’Etat » sur laquelle « la langue bretonne était marginalisée », n’ayant droit qu’à 1 minute 30 par semaine, explique le chercheur.

Dans un programme publié en 1978, le mouvement indépendantiste promettait d’en faire davantage pour « détruire l’oppression de l’État français impérialiste et colonisateur » et ouvrir une « voie bretonne au socialisme ». De la centrale nucléaire de Brennilis, aux casernes de gendarmerie jusqu’au Château de Versailles en 1978, plus de 200 attentats seront attribués au FLB et à l’ARB dans les années 1960 et 70. Au comptoir des nombreux bistrots du Finistère, l’attentat n’a pas toujours été bien perçu. Les auteurs ne seront pourtant jamais identifiés ni jugés. Ils bénéficieront de l’amnistie votée quelques mois plus tard, après l’élection de Valéry Giscard d'Estaing.