TEMOIGNAGE« Etre veuve et jeune est encore très tabou », raconte Perrine, 42 ans

Saint-Valentin : « Etre veuve et jeune est encore très tabou », raconte Perrine, maman de 42 ans

TEMOIGNAGEPerrine Emeriaud Buée a perdu son mari, Emmanuel, il y a un an et demi. Cette Nantaise souhaite libérer la parole sur le « veuvage précoce » via l’association Happy End, qui se réunit ce mercredi soir
Julie Urbach

Propos recueillis par Julie Urbach

L'essentiel

  • Ce mercredi soir, jour de la Saint-Valentin, une quinzaine de jeunes veuves se réuniront dans un bar du centre-ville de Nantes pour « libérer la parole » sur ce sujet « encore tabou » et rendre hommage à leurs défunts.
  • Perrine Emeriaud Buée, coorganisatrice du groupe de parole de ces Petites veuvries, avait 40 ans quand son mari Emmanuel, père de sa petite fille, est décédé.
  • Elle raconte à « 20 Minutes » la difficulté de ce deuil.

A 42 ans, voilà un an et demi que Perrine Emeriaud Buée a perdu son mari Emmanuel, « son âme sœur », décédé d’un cancer. Cette jeune veuve, maman d’une fillette de 6 ans, anime à Nantes « Les Petites veuvries entre amies », un groupe de parole (qui essaime un peu partout en France, dans la lignée des Apéros de la mort) dédié aux femmes qui ont perdu leur conjoint de façon brutale, ou en tout cas prématurée.

Une quinzaine de membres se réuniront une nouvelle fois ce mercredi soir, jour de la Saint-Valentin, dans un bar du centre-ville pour « pleurer », « rire aussi », mais surtout parler de « qui étaient leurs amours ». Un moment important qui touche à un sujet « encore tabou », surtout quand il concerne des femmes âgées de moins de 55 ans, que l’on qualifie en France de « veuves précoces ». Comme Perrine, qui a confié son histoire à 20 Minutes.

« Une grande histoire d’amour »

« J’ai commencé à travailler avec Emmanuel dans son cabinet de management de transition et au bout de deux ans, il a fallu se rendre à l’évidence, j’étais amoureuse de lui ! Quand je lui ai avoué, il m’a dit que lui aussi, et en quinze jours nous nous sommes installés ensemble. Moi avec mon boss, ça nous faisait rire mais c’était une grande histoire d’amour, une évidence, comme le premier jour du reste de notre vie. Je suis assez vite tombée enceinte de notre petite Louise et c’est quand elle a eu deux ans, en 2019, que le diagnostic est tombé : cancer du côlon multimétastasé. On savait que c’était irréversible. »

« Le deuil blanc »

« S’en sont suivies trois ans de chimio, une semaine sur deux. La maladie prend beaucoup d’espace, donc il faut d’abord faire ce qu’on appelle le deuil blanc : celui des projets, qui nous coupe dans notre élan. Ça amène vers cette solitude et une grande fusion a commencé avec ma fille.

A un moment donné, le traitement ne fonctionne plus et là c’est la chute, inévitable. Grâce à l’hospitalisation à domicile, on a pu passer notre dernier été ensemble, jusqu’au bout. On s’est même mariés dans le salon de mes parents à Noirmoutier avec 30 personnes, des amis, des associés, d’autres en visio… un moment extraordinaire. Emmanuel, qui allait avoir 55 ans, est parti le lendemain. »

« Parler pour réparer »

« Là, personne ne vous accompagne, comme si certains médecins avaient peur de la mort. J’ai été proche aidante, maman, professionnelle, et d’un coup, c’est l’anesthésie, le cerveau dit stop. C’est là que parler fait du bien, et peut réparer, sauf que peu de monde peut nous comprendre.

Je suis allée dans un premier groupe de parole, avec un certain nombre de personnes âgées qui ont perdu leur conjoint de façon naturelle. Mais les veufs ne sont pas que ça : il y a aussi ce qu’on appelle le veuvage précoce, c’est-à-dire celui qui survient avant l’âge de 55 ans, avec parfois des enfants en bas âge et alors que l’on n’a pas encore droit à la pension de réversion. Ce n’est pas le même deuil quand on a 40 ans ou 70 ans, même si c’est à chaque fois très douloureux. C’est aussi pour cela, libérer la parole sur ce sujet encore très tabou, que je me suis lancée l’an dernier dans les Petites veuvries à Nantes, avec l'association Happy End. »

« La question de la parentalité »

« On y parle de beaucoup de choses mais la question de la parentalité revient souvent : dans mon cas, le projet de départ c’est d’être trois, pas deux. Le deuil nous épuise mais il faut continuer à jouer, s’occuper d’un enfant, qui d’un autre côté nous maintient en vie. Nous sommes désormais seules juges et la question de "est-ce que l’on fait bien" est perpétuelle.

On parle aussi de la solitude, des émotions sinusoïdales que l’on ressent toutes, de cette phase de chaos qui fait que l’on se transforme voire que l’on grandit, car une part de nous part et une part de l’autre reste. On échange aussi sur ces phrases assez choquantes que certaines entendent dans leur entourage, comme "bah alors, tu vas rencontrer quelqu’un quand même !" ou "Quoi, tu es encore avec ton deuil ?" »

« La meilleure date pour parler d’eux »

« Même si on a toutes des dates qui nous touchent plus que d’autres, on s’est dit que le 14 février sera certainement une journée de souffrance, donc autant la passer avec celles qui vivent la même chose que nous ! Moi la Saint-Valentin, ça n’a jamais été mon dada mais pour certaines c’était important. Mais attention, c’est aussi un moment où l’on rit, où on boit, entre copines, avec parfois beaucoup d’autodérision. Donc quelle meilleure date pour penser à nos amours, parler d’eux et leur rendre hommage ? »