ZONE DANGEREUSELes ouvriers des travaux publics en ont ras le casque de se faire pourrir

Insultes, agressions… Les ouvriers des travaux publics en ont ras le casque de se faire pourrir

ZONE DANGEREUSEPartout sur le territoire, les incivilités se multiplient aux abords des chantiers, avec une agressivité croissante des automobilistes et des riverains. Face à ce fléau, les acteurs de la profession en Bretagne poussent un coup de gueule
Jérôme Gicquel

Jérôme Gicquel

L'essentiel

  • Sur les chantiers de travaux publics, les ouvriers sont de plus en plus la cible d’incivilités, avec une agressivité croissante des riverains et des automobilistes.
  • Certains sont mêmes menacés physiquement ou renversés par des conducteurs qui n’hésitent plus à forcer le passage.
  • En Bretagne, les acteurs tirent la sonnette d’alarme et tentent d’alerter les élus sur la nécessité de barrer systématiquement les routes pour éviter les dangers.

«Cela a toujours existé, les petites incivilités, ça fait un peu partie du job. Mais là, cela dépasse vraiment les bornes. » Chef de chantier depuis près de trente ans, Gilles Le Bris a comme on dit de la bouteille dans le métier. Une carrière entièrement dédiée aux travaux publics dont il se dit fier. « On est là pour rendre service aux gens, ils sont bien contents de nous trouver quand une canalisation pète », indique ce salarié de l’entreprise bretonne SBCEA, spécialisée dans les réseaux d’assainissement et d’eau potable. Mais sur chaque chantier, Gilles Le Bris doit désormais faire face à l’agressivité des automobilistes et des riverains, furieux de devoir changer leurs habitudes.

A son âge, il avoue ne plus trop prêter attention aux insultes, comme « bande de fainéants » ou « bons à rien », qui fusent régulièrement à travers les fenêtres. Mais la semaine dernière, sur un chantier dans une petite bourgade, son sang n’a fait qu’un tour. Alors que la route était barrée le temps des travaux, un conducteur a forcé le passage, frôlant un jeune de 16 ans qui était en stage sur le chantier. « Un pas de plus et il se faisait faucher », fulmine le sexagénaire, qui s’est mis en pétard contre le chauffard. « Je sais que je n’aurai pas dû, mais on en arrive parfois à devenir agressif. »

« On ne sait jamais comment les personnes vont réagir »

Quelques mois plus tôt, Gilles Le Bris était déjà tombé sur un bel énergumène à Rennes. « Le gars était furieux en voyant que la route était barrée et il a commencé à m’insulter, raconte-t-il. Il n’avait vraiment pas l’intention de faire demi-tour et s’est assis tranquillement sur le capot de sa voiture pour fumer une cigarette. On a dû déplacer tout le matériel pour le laisser passer. Car dans ce genre de situation, on ne sait jamais comment les personnes vont réagir et si elles sont armées. »

Des incidents loin d’être des cas isolés. « Il y a une montée en puissance de l’agressivité depuis quelques années, et cela devient une préoccupation majeure dans la profession », reconnaît Jonathan Binda, chef de centre de l’entreprise Colas dans la région de Saint-Malo. L’an dernier, l’un de ses chefs de chantier a été violemment percuté par un automobiliste ayant forcé le passage et grillé un sens interdit. « On comprend que cela puisse faire râler de devoir faire un détour de cinq minutes, assure-t-il. Mais désormais, on a des personnes qui ne respectent plus le balisage de chantier et s’engagent malgré les barrières de protection. » Jonathan Binda ne cible pas que les automobilistes. « Certains cyclistes ne respectent pas non plus les zones de chantier, indique-t-il. Ils n’ont aucune notion des risques qu’ils font encourir à nos équipes, mais aussi à eux-mêmes. »

Des chefs de chantier formés à la gestion des conflits

Travailler sur la voie publique n’est donc pas sans danger. « La charge mentale est permanente pour nos équipes, qui doivent sans arrêt faire la police », souligne le responsable de l’entreprise Colas. Pour éviter que les situations ne dégénèrent, cette filiale du groupe Bouygues a d’ailleurs commencé à former certains chefs de chantier à la gestion des conflits. « Alors que ce n’est quand même pas leur rôle, mais on en est arrivé là pour protéger nos salariés », indique Jonathan Binda.

La Bretagne ne fait pas bien sûr office de Far West et tous les territoires sont touchés. Mais dans la région, la Fédération régionale des travaux publics a décidé de réagir face à ce fléau qui pourrit le travail des ouvriers. Dans une campagne de communication, elle alerte notamment les élus, de plus en plus frileux avant d’engager des travaux. « Ils voudraient qu’il n’y ait pas de nuisances mais c’est impossible », sourit Pascal Reymondie, président de la commission santé et sécurité au travail à la FRTP Bretagne.

Comme de nombreux acteurs, il essaie surtout de les convaincre de barrer complètement les routes à chaque chantier. Une solution évidemment pas très populaire pour un maire, soucieux de ne pas fâcher ses ouailles. « Ils préfèrent donc mettre en place une circulation alternée, constate Pascal Reymondie. C’est plus dangereux car on laisse passer des voitures. Et ça rallonge la durée des chantiers. » Entre sécurité et rapidité ou nuisances pour leurs administrés, les élus sont donc sommés de trancher.