Les agents de ménage sont-ils voués à travailler quand les employés de bureau dorment ?
HORAIRES DECALES•« Les personnels d’entretien de l’administration qui le souhaitent » pourront travailler « aux mêmes horaires que tout le monde », a promis Gabriel Attal mardi. Un coup d’accélérateur aux horaires continu en journée ?
Julie Urbach
L'essentiel
- Mardi, Gabriel Attal a promis que l'Etat permettra aux personnels d'entretien de l'administration de travailler « aux horaires de bureau » s'ils le souhaitent.
- Depuis plusieurs années, la Fédération des entreprises de propreté plaide pour ces horaires continu en journée, afin d'améliorer les conditions de travail des agents, souvent très contraignantes.
- Seulement 10% des marchés publics intègreraient aujourd'hui cette clause, alors que les stéréotypes, notamment culturels, persistent.
Elle travaille de 5 h 30 à 9 heures, puis ressort seau et serpillière entre 17 et 20 heures chez son deuxième employeur. Des horaires qu’accepte tant bien que mal cette femme de ménage, qui se sent cependant « en décalage de la société », presque « dans un monde à part ». Pourtant, bosser quand la majorité d’entre nous dort encore est le quotidien de nombreux agents de propreté, un secteur qui compte 660.000 emplois et marqué par des contrats à temps partiel très souvent à horaires décalés. Alors que ces personnels ont été un moment mis en lumière pendant la crise sanitaire, ils ont eu la surprise d’être cités par le Premier ministre lors de son discours de politique générale mardi. Un « signal fort » pour la profession qui espère que la révolution qu’elle prépare sur la question des horaires pourra enfin avoir lieu.
Pour « toutes ces personnes qui travaillent dur et se sentent invisibles », Gabriel Attal a en effet promis qu’il montrera « l’exemple », avec une principale mesure : « Dans l’Etat, les personnels d’entretien de l’administration qui le souhaitent p [ourront] travaillent aux mêmes horaires que tout le monde : aux horaires de bureau », annonce-t-il. Un premier pas qui « satisfait » la Fédération des entreprises de propreté (FEP). « Quand vous arrivez à votre poste et que les poubelles sont vidées, que la poussière est faite, c’est parce qu’un humain est passé avant vous, rappelle son président Philippe Jouanny. Cela fait quinze ans que nous portons ce sujet du travail en continu en journée. Ça évolue mais bien trop lentement, avec encore de nombreux stéréotypes qui persistent. »
Des freins culturels à lever
Car si cela peut paraître du bon sens, il reste un paquet de freins à lever, majoritairement culturels. Peur du bruit de l’aspirateur, pas envie de voir débarquer quelqu’un dans son bureau… « Nos agents sont formés et savent très bien faire : ils frappent, reviennent plus tard s’il le faut, interviennent entre deux réunions s'il y a des miettes à ramasser..., explique-t-on à la FEP. Il y a un respect mutuel qui s’instaure, avec des employés de bureau qui vont eux aussi faire davantage attention à l’état des lieux. » Des arguments qui peinent à convaincre alors que seuls 10 % des marchés publics comporteraient aujourd’hui une clause de travail en journée.
C’est le cas à Nantes ville et métropole, où le ménage nocturne est proscrit dans les 200.000 m² de bureaux, mais aussi médiathèques ou gymnases. Un changement progressif qui a démarré en 2009. « Les horaires vont de 7 à 19 heures, renseigne Hervé Fournier, conseiller municipal et métropolitain délégué à la commande publique durable. Certains étaient sceptiques mais en plus d’améliorer les conditions sociales, je crois que ça renforce la qualité du service. » Notamment grâce à la communication : « Il y a quelques jours par exemple, j’étais dans une salle où il y avait eu des petits travaux, poursuit l’élu. Je l’ai simplement signalé à l’agente pour qu’elle passe. Les gens finissent par se connaître. Franchement, c’est encore plus simple aujourd’hui, avec le télétravail. »
Réaliser une étude de faisabilité
Selon la FEP, « 89 % des clients qui jouent le jeu ne veulent pas revenir en arrière ». Pour autant, passer aux horaires en journée et en continu ne se décrète pas, insiste la fédération, qui encourage en premier lieu à réaliser une étude de faisabilité. Parfois, les résultats ne seront pas concluants parce que certaines activités ne s’y prêtent pas, que certains salariés seront particulièrement réfractaires, mais aussi car certains agents de ménage ne souhaitent pas changer leur organisation, aussi contraignante soit elle.
Mais pour les autres, les bénéfices seraient nombreux et rendraient ce métier en tension plus attractif, avec moins de problèmes d’accès aux transports en commun et davantage d’humanisation. « Ce n’est plus la même vie, témoignait auprès de 20 Minutes Marina, il y a plusieurs années. J’ai retrouvé un rythme familial normal alors qu’avant je ne voyais jamais ma fille. Je rentrais à la maison quand elle était à l’école et devais repartir ensuite ».