TémoignageLa loi sur l’homicide routier ne changera pas le quotidien des victimes

« Tout pourrit le quotidien », la double peine des victimes d’homicide routier

TémoignageAlors que l’Assemblée nationale planche sur une proposition de loi concernant les homicides routiers, un Nordiste, qui a perdu sa femme, raconte son quotidien entaché de tracas administratifs et financiers
Gilles Durand

Gilles Durand

L'essentiel

  • Julien S. raconte le drame personnel qu’il vit depuis 2021, lorsque sa femme est décédée, victime d’un accident de voiture causé par un conducteur sous l’empire de l’alcool et du cannabis.
  • « C’est insupportable d’entendre parler d’homicide involontaire quand tout indique qu’un accident était inévitable », déplore Julien S.
  • Pour l’époux endeuillé, la proposition de loi sur l’homicide routier ne changera pas les tracasseries administratives et financières qu’il subit.

«Etre victime d’un meurtrier de la route, ça ne peut pas vous arriver… jusqu’au détour d’un feu rouge. » Sur les réseaux sociaux, Julien S. rendait public, en novembre, le drame qu’il a vécu, en septembre 2021, et que 20 Minutes avait rapporté à l’époque. En rentrant d’une soirée chez des amis, sa voiture est percutée à la sortie d’un minitunnel, près de Lille. « Une Mercedes qui roulait à 140 km/h sur une portion limitée à 50, explique-t-il. Le conducteur était sous l’empire de l’alcool et du cannabis ». Sa femme, Sandra est décédée sous le choc, une des deux filles restera handicapée à vie.

C’est dire qu’il s’intéresse à l’instauration d’un délit d’homicide routier examiné, depuis lundi, à l’Assemblée nationale. Objectif de cette proposition de loi : déterminer les circonstances aggravantes des accidents de la route mortels, comme la consommation d’alcool ou de stupéfiants avant de conduire, par exemple. Chaque année, les accidents de la route coûtent la vie à environ 3.000 personnes, en France métropolitaine. Des morts anonymes mais qui laissent un traumatisme à vie pour les survivants.

« Insupportable d’entendre parler d’homicide involontaire »

« C’est insupportable d’entendre parler d’homicide involontaire quand tout indique qu’un accident était inévitable, surtout lorsque le conducteur cumule déjà cinq délits routiers », assure Julien S., contacté par 20 Minutes. Un conducteur libéré après un an de détention provisoire, comme le stipule la loi. Dur à encaisser pour Julien S. qui, de son côté, cumule les tracasseries administratives et financières, tant que le procès n’a pas eu lieu.

« Après l’accident, et jusqu’à aujourd’hui, il nous est refusé de disposer du corps de Sandra et de l’incinérer comme, je le pense, elle l’aurait souhaité. Pourquoi ? Par ce qu’en cas de demande de contre-autopsies de l’avocat du meurtrier, il y aurait vice de forme », déplore-t-il.

Pour les besoins de l’enquête, sa voiture est également bloquée chez un épaviste. « Aucune d’autorisation de détruire le véhicule n’a été délivrée, puisqu’une contre-expertise pourrait également être demandée par l’avocat du suspect. Pourtant vous avez l’obligation légale de continuer à payer l’assurance du véhicule, ce que je fais depuis deux ans », se désole-t-il encore.

« Flanqué d’un juge des tutelles »

Enfin, le fait d’avoir perdu son épouse a ouvert une dernière situation ubuesque, au moment de la vente de la maison. « Mes filles ne voulaient plus habiter un lieu rempli de souvenirs, raconte-t-il. Nous avons déménagé et j’ai découvert que, dans ce cas, on est flanqué d’un juge des tutelles qui, sans vous rencontrer, sans vous écrire et sans vous appeler, décidera de ce qui est bon ou mauvais pour vos enfants. »

Résultat, une partie de l’argent de la vente de la maison est bloquée « pour garantir les droits de mes deux filles, comme si je voulais les spolier », ironise Julien S. Une décision qui le place en difficulté financière. « Tout ça pourrit un quotidien déjà sérieusement écorné depuis deux ans, s’insurge-t-il. Ces décisions prises sans aucune convocation, sans aucun appel, sont complètement déconnectées de la réalité d’un papa qui se retrouve seul avec ses deux enfants. Rien n’est fait pour les victimes. »

L’autopsie dans la boîte aux lettres

Le dossier d’instruction est aujourd’hui clos et l’affaire devrait passer au tribunal correctionnel de Lille d’ici la fin d’année 2024, selon l’avocat de Julien S., Me Jérôme Pianezza. « Tant que le jugement n’est pas rendu, c’est très compliqué, reconnaît-il. Et dans cette affaire, l’instruction aurait pu être plus rapide pour éviter tous ces problèmes. ».

Peut-on imaginer que la nouvelle loi sur les délits routiers prenne en compte le quotidien des victimes ? « Pas vraiment, car les problèmes financiers de mon client ne se résoudront qu’au procès civil, répond l’avocat. Or cette nouvelle loi s’inscrit dans la définition pénale de l’homicide lors d’un accident de la route. »

Reste à la justice de faire preuve parfois d’un peu d’humanité avec les victimes, comme le signale Julien S. en rapportant une dernière « anecdote » qui lui reste en travers de la gorge. « J’ai eu le privilège de recevoir les conclusions de l’autopsie de ma femme directement dans ma boîte aux lettres, sans aucun mot d’accompagnement ni autre forme de prévenance, se souvient-il. Une belle pochette-surprise dont je me souviendrai toute ma vie ».

Une proposition de loi « peu limpide »

Selon Me Jérôme Pianezza, avocat au barreau de Lille, « cette proposition de loi sur les délits routiers semble faire surgir la notion de meurtre routier ». Or, le meurtre est un crime passible de la cour d’assises. « Pourtant, il est prévu que ce crime routier reste qualifié comme un délit, explique-t-il. On a l’impression qu’une infraction entre le crime et le délit est en train d’apparaître, ce qui risque d’être peu limpide au niveau législatif. »