Ces clients relous qui n’ont pas réfléchi avant de commander au salad bar (alors que derrière, on est pressé)
LES RELOUS, C’EST NOUS, C’EST VOUS•Tous les quinze jours, « 20 Minutes » s’intéresse aux relous du quotidien, ceux qui nous agacent sans le vouloir sur des manies pas bien méchantes mais très énervantesFrédéric Brenon
L'essentiel
- Tous les quinze jours, 20 Minutes se penche sur les relous du quotidien. Celles et ceux qui nous titillent sans le vouloir sur des trucs pas bien méchants… mais très énervants.
- Dans ce nouvel épisode, on s’intéresse aux relous dans les restaurants de vente à emporter. Vous savez, celles et ceux qui mettent dix ans à passer commande alors qu’ils viennent de faire la queue.
- Qui sont-ils ? Quels sont leurs arguments ? Qu’en dit la Science ? 20 Minutes a mené l’enquête.
L’automobiliste qui juge inutile d’enclencher son clignotant sur un rond-point. Ce pote dont la passion est de spoiler les meilleures séries. Votre sœur tête-à-claques qui s’excuse de ne pas avoir rangé alors que rien ne dépasse de son salon. L’idée de départ est simple : s’intéresser à ces petits gestes « relous » qui nous titillent au quotidien. A ce « sentiment de toute-puissance qui nous fait dire “si je ne le fais pas, l’autre le fera, donc autant le faire moi” », comme le décrit le psychologue Robert Zuili, auteur du Pouvoir des liens (éd. Mango, septembre 2023).
Ces petites choses reloues, elles sont légion. Et surtout, surtout, elles nous concernent tous. Car finalement, « nous sommes tous le relou de quelqu’un ». En particulier au moment de passer commande dans les restaurants de plats à emporter.
Le fait relou
D’habitude, les bonnes résolutions, vous vous en moquez. Mais cette année, c’est décidé, vous allez faire ce qu’il faut pour tenter d’éliminer les 2-3 kilos accumulés par les derniers mois de visites répétées aux kebabs du quartier. Votre nouvelle adresse, ce sera le salad bar. C’est un peu plus loin du boulot, il faudra se presser, mais tant pis. Les salades, c’est bon pour la ligne, et marcher plus longtemps fait partie du processus.
Après deux jours d’essai avec les collègues, vous vous sentez à l’aise parmi la team végétosaures. Vous avez l’impression d’avoir déjà fait du bien à votre corps et parvenez même à oublier cette sensation de faim qui revient moins de deux heures après avoir réglé cette coquette addition proche de 20 euros.
Sauf que ce midi, après avoir patienté 8 minutes dans la file emplie de clients, deux consommateurs en goguette sont bloqués devant le serveur avec une montagne de questions en bouche. « On a droit à combien d’ingrédients au juste ? La base, c’est forcément des légumes ? Vous avez quoi comme sauce ? Les protéines de soja, c’est en supplément ? La boisson est comprise dans le prix ou pas ? » Au secours !
Pourquoi c’est méga relou ?
Parce que votre temps est compté ! Et que perdre 1min30 à écouter les questionnements de néophytes sans complexe, c’est déjà beaucoup trop pour votre vie active épanouie ! Surtout, ces relous n’ont aucune raison de tergiverser puisque le mode d’emploi du restaurant est affiché EN GROS au-dessus du comptoir ! On patiente, on regarde comment ça marche, et on commande fissa. Ça fonctionne comme ça depuis mille ans, que ce soit dans un salad bar, chez un vendeur de wraps, de pitas, de poke bowls, ou même chez cette célèbre enseigne de sandwichs au nom évoquant le métro new-yorkais.
« Ça arrive plus souvent qu’on ne le croit, assure Emeline, une Rennaise fan de salad’bar. Et c’est toujours quand on est méga-pressé. Ces gens sortent souvent par deux. Ils papotent dans la file et quand arrive leur tour, hop, ils se réveillent et s’interrogent à voix haute. C’est pourtant pas compliqué de lire les panneaux ou de copier le client précédent. » « J’en peux plus de ces gens ! Ils voient bien qu’il y a du monde derrière, qu’on les dévisage. Rien que pour ça, à leur place, je me serais mis sur le côté pour réfléchir », témoigne Steven, client-pas-content à Nantes. « Franchement, parfois, j’ai envie de les taper », insiste Emeline dans un élan de pacifisme.
Les arguments des relous
« C’est bon, ça va, pourquoi s’impatienter ? Y’a pas le feu au lac… », justifie Alain, un relou nantais faisant sienne l’expression désuète inspirée du lac Léman. « On n’est pas à une minute près. Il y en aura assez pour tout le monde », ajoute son compagnon de lenteur. Un argument validé par les professionnels de la restauration, à l’image de Soumia, employée d’un Subway parisien. « Je comprends que ça énerve les habitués mais franchement, nous, ça ne nous dérange pas. Au contraire, ça nous permet de souffler un peu à un moment où on est vraiment la tête dans le guidon. Quelques secondes de répit par-ci par-là, c’est toujours bon à prendre. On ne sera pas payés plus de toute façon. »
Autre argument avancé : la sacro-sainte convivialité, le plaisir de converser avec le commerçant. « Accompagner le client, le conseiller, ça fait partie du job, réagit Nadine, gérante du Salad’île à Nantes. Je comprends que certains puissent avoir l’esprit accaparé par leur prochaine réunion. On n’est pas là pour leur mettre la pression. L'échange est essentiel. Le Covid a su nous le rappeler. »
Que dit la Science ?
L’indécision n’est pas forcément un défaut. Loin de là. Les personnes les plus hésitantes sont même celles qui prennent les décisions les plus sensées, et qui (se) posent les meilleures questions. C’est ce qui ressort d’une étude menée par une doctorante et une enseignante en psychologie sociale de l’université de Dresde (Allemagne), repérée par Slate. Au lieu de se donner bonne conscience en se persuadant que la décision qui les tente est la meilleure, « les indécis auront au contraire tendance à aller fouiller du côté des autres possibilités qui se présentent, et à imaginer en permanence que le chemin qu’ils s’apprêtent à ne pas emprunter est peut-être le meilleur », rapporte le site Internet. Une bonne raison de ne pas se précipiter.
Quant au sentiment d’impatience, il serait grandissant et toucherait 82 % des Français, selon une enquête de l’institut OpinionWay réalisée en 2018. Et le phénomène serait lié en grande partie au développement de nos usages numériques et à notre besoin d’une « réponse immédiate », selon plusieurs sociologues. Les temps d’attente, eux, seraient perçus comme du « temps perdu ». Or une étude de la chercheuse américaine en psychologie Sarah Schnitker a démontré que les individus les plus patients accomplissent davantage leurs objectifs, ont une vision plus optimiste de leur environnement et sont, in fine, plus heureux dans la vie.
NOTRE DOSSIER SUR LES RELOUS DU QUOTIDIENLe truc infaillible pour faire comprendre au relou qu’il est relou ?
La réaction la plus naturelle serait de lui mettre la pression en lui exprimant de manière ostensible que, non, choisir entre un pain avoine et un pain italien, entre une sauce caesar et une moutarde-miel, n’est pas une décision qui nécessite de faire appel à un ami. Un innocent « ça n’avance pas aujourd’hui, on va être en retard » glissé à voix haute dans la file devrait suffire à faire passer le message.
L’autre possibilité est de singer la gentillesse et de proposer son « aide » au consommateur en déroute. Malaise assuré également. Mais sera-ce suffisant pour faire accélérer la cadence ? Pas sûr. Le risque étant de mettre l’accusé en rogne ou en panique.
Pour assurer le coup, des restaurants ont déployé une autre technique, déjà éprouvée par Mc Do, Buger King ou même Pokana : installer plusieurs écrans tactiles de commande. Chacun sa borne, chacun son chemin, pas de message à ton voisin.
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