L’instruction civique, poudre de perlimpinpin ou nouvelle baguette magique d’Emmanuel Macron ?
Abracadabra•Mardi soir, le président de la République a confirmé sa volonté de doubler les heures d’éducation civique et morale à l’école. Suffisant pour faire des élèves de futurs citoyens modèles ?Caroline Girardon
L'essentiel
- Lors de sa grande conférence de presse, mardi soir, Emmanuel Macron a confirmé sa volonté de refonder « l’instruction civique » au sein de l’école.
- Une mesure qui laisse sceptique les enseignants, voyant dans les propositions formulées par le président de la République, des annonces « déconnectées de la réalité » et « conservatrices ».
- « L’approche de l’éducation civique par les cours magistraux ne fonctionne pas », prévient le politologue et sociologue Sebastian Roché, rappelant que les prédécesseurs d’Emmanuel Macron s’y sont déjà essayés… sans succès.
L’instruction civique ne serait-elle que de la poudre de perlimpinpin ? Une baguette magique brandie par Emmanuel Macron ? Ou bien THE solution miracle pour transformer les élèves en de futurs citoyens modèles et engagés ? A l’heure de sa grande conférence de presse, mardi soir, le président de la République a confirmé vouloir doubler les heures d’enseignement de « l’éducation morale et civique » (c’est comme ça qu’on dit aujourd’hui) dans les écoles. C’est-à-dire de passer d’une heure à deux heures. Avec l’obligation de se coltiner notamment « les grands textes fondateurs de la nation ».
« Encore faut-il que nos élèves soient capables de les lire. En classes de 6e et de 5e, 60 à 70 % d’entre eux ne comprennent pas ce qu’ils lisent », souligne Olivier, 55 ans, « profondément dubitatif ». Lui, enseigne l’histoire-géographie dans un collège de Vonnas (Ain). Et insiste : « Je vois une annonce faite par quelqu’un de complètement déconnecté de la réalité. »
A la recherche de « l’arche perdue »
Même ressenti chez Pierre, prof d’histoire-géo et d’EMC au collège Lucie Aubrac de Givors (Rhône). « En soi, c’est très bien de vouloir doubler ces heures d’enseignement, je dis bravo mais ce n’est pas une baguette magique, confirme-t-il. J’ai peur que la vision d’Emmanuel Macron ne soit pas celle du terrain, qu’elle ne colle pas aux besoins des élèves et de la société. Qu’est-ce qu’on met derrière ce projet ? » « Chanter la Marseillaise » ou « proclamer son amour du drapeau » ne relève pas d’une « formation éclairée » et ne permettra en rien de « développer une pensée citoyenne autonome », argumente-t-il, même s’il met « un point d’honneur » à enseigner l’instruction civique. Mais pas à la sauce Macron : « L’uniforme, l’hymne national, le SNU… La structure intellectuelle derrière tout ça n’est pas révolutionnaire. Elle est plutôt conservatrice, pour ne pas dire réactionnaire ».
De là à penser que le programme souhaité par le président de la République a des relents de naphtaline ? « On est dans une nostalgie de la France sépia. Emmanuel Macron s’appuie sur des choses qui ont marché dans le passé. C’est comme s’il était à la recherche de l’arche perdue », commente le politologue Sebastian Roché, auteur du livre La nation inachevée. La jeunesse face à l’école et la police.
Un « rideau de fumée »
« C’est bien beau de vouloir faire travailler les élèves sur les valeurs mais il faudrait déjà bénéficier du soutien de l’Institution », peste cette fois Olivier qui encadre les classes de défense dans son établissement. « Quand on a projeté d’organiser un voyage en Normandie pour travailler sur le débarquement, on n’a pas eu un radis. On doit se démerder tout seul. »
« C’est un rideau de fumée », abonde, de son côté, Frédéric Volle, délégué FO/Snudi dans le Rhône. « Bien sûr, l’éducation civique et morale fait partie de l’apprentissage des élèves au même titre que les maths ou le français. Mais rajouter une heure ou dix heures de plus ne réglera pas les problèmes actuels », dénonce-t-il. Le mal est plus profond. Les classes surchargées et le non-remplacement des profs absents sont, selon lui, responsables du mal-être de l’Education nationale et du niveau général des collégiens.
« En soi, Emmanuel Macron n’a rien inventé », résument à l’unisson les enseignants interrogés à ce sujet. Oui, l’instruction civique a été introduite en 1882 par un certain Jules Ferry qui voulait, à l’époque, remplacer « l’instruction morale et religieuse ». « La France est l’un des pays dans lequel l’enseignement de l’éducation civique est le plus ancien et le plus long, à savoir qu’il traverse toute la scolarité d’un élève, observe Sebastian Roché. Il a été constamment augmenté en matière d'horaires et au fil des crises. »
« L’approche par les cours magistraux ne fonctionne pas »
En 1985, Jean-Pierre Chevènement l’a réintroduit comme matière à part entière. En 2007, Nicolas Sarkozy a voulu en faire « le deuxième pilier de l’école primaire », derrière la maîtrise de la langue française. En 2015, à la suite des attentats de Paris, François Hollande a, lui aussi, souhaité remettre la citoyenneté au cœur de l’école.
Vous l’aurez compris, rien de très neuf sous le soleil. Seulement, le constat est implacable, selon Sebastian Roché : « L’approche de l’éducation civique par les cours magistraux ne fonctionne pas. Elle ne permet pas une transmission des valeurs républicaines. Les cours développent une connaissance froide, à savoir les dates, les lieux, mais ne développent pas une compétence subjective auprès des élèves pour leur permettre de prendre part aux débats, d’avoir des discussions politiques et un attachement à la nation. » Seul, « l’engagement dans des activités » (par le biais de l’école ou en dehors), se révèle efficace, analyse-t-il.
Tout sur la conf' de presse d'Emmanuel MacronLa réussite ne « dépend pas de l’uniforme ou de l’hymne national à chanter », plaide encore le politologue, mais elle « dépend de la relation concrète à l’école » et de « l’expérience » que chacun en fera. « L’école n’est pas un moule. Elle doit être le socle sur lequel on construit des idées, le socle de vie quotidienne. C’est une petite société dans la grande société de la nation, poursuit-il. Mais quand vous vous retrouvez dans des écoles ghettos, ça ne peut pas marcher. Et si on ne résout pas le problème d’avoir des enseignants dans toutes les classes, si on ne dote pas correctement les établissements de moyens, cela ne fonctionnera pas. »