À Bordeaux, les tickets de milliers d’usagers de TBM « otages » d’une guéguerre sur la vente de billets dématérialisés
pas validé•Keolis somme l’entreprise Myzee de lui transférer la base de données des clients qui utilisaient jusqu’au 31 décembre dernier l’application Witick pour les tickets de transport dématérialisésMickaël Bosredon
L'essentiel
- Depuis 2019, l’application mobile Witick servait de support aux titres de transport dématérialisés du réseau de Bordeaux Métropole TBM.
- Keolis Bordeaux Métropole a souhaité intégrer le « M Ticket » dans sa propre application mobile TBM.
- Une bataille est engagée entre les deux entreprises sur la légalité de la démarche, et sur la récupération de la base de données des clients qui se retrouvent avec des titres de transport désormais inutilisables sur l’appli Witick.
C’est une guéguerre qui dure depuis des semaines, et qui rejaillit maintenant directement sur les usagers. Keolis Bordeaux Métropole (KBM), l’exploitant du réseau de transport TBM, somme l’entreprise Myzee, qui assurait jusqu’au 31 décembre le service du « ticket de transport dématérialisé » sur son application mobile Witick, de lui transférer « dans les meilleurs délais » son fichier clients.
Le contrat entre Keolis et Myzee a en effet pris fin au 1er janvier 2024, Keolis souhaitant opérer ce service lui-même, via son application TBM. Conséquence : les usagers possédant encore des tickets de transport sur l’application Witick ne peuvent désormais plus les utiliser sur le réseau TBM. « Je ne peux même plus consulter le solde de mes tickets sur l'application » se désole un utilisateur sur les réseaux sociaux.
« Seule la société Myzee détient vos données clients relatives à l’application Witick, et en particulier le solde de vos tickets présents au 31 décembre, se défend Keolis dans un mail envoyé aux usagers du réseau de Bordeaux Métropole. Pour pouvoir transférer ce solde vers l’appli TBM, nous avons besoin de disposer de ces données et nous comptons sur sa mise à disposition rapide par Myzee. » Ce que l’entreprise n’a pas fait à ce jour, s’estimant lésée dans l’opération.
Myzee renvoit vers Kéolis pour « toute réclamation »
L’entreprise Myzee a également envoyé un mail aux voyageurs qui utilisaient son application. Elle y explique être « navrée » de la coupure intervenue le 1er janvier 2024, « après toutes les démarches que nous avons entreprises depuis le printemps dernier pour tenter d’éviter cette situation ».
Ainsi, dès le mois d’avril 2023, « nous avons demandé à faire appliquer la Loi d’orientation des mobilités [dite LOM] pour maintenir notre service d’achat et validation des titres de transport à Bordeaux Métropole après le 31 décembre 2023. Pour information, cette loi prévoit que tout fournisseur de service numérique multimodal qui en fait la demande peut de droit obtenir un contrat pour revendre des titres de transport en commun dématérialisés auprès du gestionnaire de service concerné, ce qui est le cas de notre entreprise ». Jusqu’au 31 décembre, « nous espérions pouvoir signer et maintenir notre service sans interruption, malheureusement, cela ne s’est pas concrétisé comme nous l’aurions souhaité ». Et Myzee de demander aux voyageurs de se tourner désormais « vers le réseau de transport de Bordeaux Métropole, pour toute réclamation ou demande de remboursement ».
« Atteinte au principe de libre concurrence »
Contactée par 20 Minutes, Kéolis Bordeaux assure pour sa part ne rien pouvoir faire sans la base de données de Myzee. « Myzee conteste la fin du contrat que nous avions ensemble, et cela ira sur le terrain juridique s’ils estiment être dans leur bon droit, explique Aurélien Braud, directeur marketing de KBM. Mais en attendant, ils nous doivent cette base de données, sans laquelle nous ne sommes pas en mesure de recréditer les tickets encore valables. Nous déplorons la prise d’otages de nos clients dans cette affaire. » En octobre dernier, Keolis avait organisé une première session de communication pour indiquer aux voyageurs que l’application Witick allait s’arrêter, et qu’ils devaient donc solder leurs tickets, avant d’acheter désormais leurs nouveaux billets sur l’application TBM. « À l’époque, nous étions à plus de 200.000 utilisateurs, c’est énorme » souligne-t-on à la direction de KBM.
Dans un courrier envoyé au ministère des Transports, à Bordeaux Métropole et à la mairie de Bordeaux, le 14 décembre dernier, Romain Combe, créateur de l’application Witick et président de l’entreprise Myzee, rappelle que la solution qu’il a créée a généré « 1,5 million d’euros de recette la première année ». Entrée en service sur le réseau TBM en 2019, elle a connu une croissance impressionnante, jusqu’à dépasser « 9,7 millions d’euros en 2023 ».
Romain Combe dénonce également « l’ostracisme » à l’égard de son entreprise alors que, dans le cadre de la LOM, Myzee s’est « clairement positionnée comme SNM (service numérique multimodal), considéré par le législateur comme une priorité. » « Nous écarter d’office, comme c’est le cas actuellement, porte clairement atteinte au principe de libre concurrence », assène-t-il encore. Il souligne enfin dans ce courrier les répercussions économiques de cette décision. « La situation est critique pour nous, car nos ressources seront taries au 1er janvier 2024. » L’application Witick ne s’est développée que dans les agglomérations de Brive (Corrèze) et du Havre (Seine-Maritime) depuis sa création.
« Solution coûteuse »
De son côté, KBM estime que « la logique de notre produit digital a toujours été de regrouper toutes nos applications en une seule, c’est pourquoi nous nous dirigeons vers une application unique au sein de laquelle le voyageur pourra retrouver l’ensemble de nos services, à commencer par le M Ticket ».
Deuxième raison mise en avant par l’entreprise de transport public pour mettre fin à son partenariat avec Myzee : le coût. « Nous gérons de l’argent public, rappelle Aurélien Braud, or l’appli Witick était une solution extrêmement coûteuse. Notre rôle est aussi de trouver des optimisations, c’est dans cette démarche que nous avons développé notre propre solution, qui est beaucoup plus économique pour la collectivité, on parle de plusieurs centaines de milliers d’euros. »
Keolis, qui indique avoir « sommé Myzee de transférer la base de données clients par voie d’huissier », espère « que la situation se débloque d’ici à la fin du mois de janvier ». En attendant que la bascule se fasse, et de récupérer leurs anciens titres de transport, plusieurs usagers déplorent avoir été obligés d'acheter de nouveaux tickets.