mauvaise noteL’immigration irrégulière est mal gérée au regard des moyens alloués

L’immigration irrégulière est mal gérée au regard des moyens alloués, juge la Cour des comptes

mauvaise noteLa France ne parvient à expulser qu’une « petite minorité » des étrangers sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français, l’Etat doit « mieux s’organiser »
20 Minutes avec AFP

20 Minutes avec AFP

Mauvaise copie pour le ministère de l’Intérieur. Alors que le sujet est encore brûlant, quelques semaines après le vote de la très controversée loi Immigration, la Cour des comptes fait les comptes sur les expulsions, et ils ne sont pas bons. Dans un rapport détaillé sur la « politique de lutte contre l’immigration irrégulière », les magistrats de la rue Cambon ont estimé que l’administration gagnerait à recalibrer une stratégie pour l’heure « inefficace », qui repose surtout sur la délivrance massive d’OQTF (obligation de quitter le territoire français).

En 2022, 153.042 mesures d’éloignement ont été prononcées, dont 134.280 OQTF. La même année, la France a expulsé 11.406 personnes, dont 7.214 « éloignements forcés ». « Ce découplage entre le nombre de mesures d’éloignement prononcées et leur exécution effective démontre les difficultés de l’Etat à faire appliquer, y compris sous la contrainte, ses décisions particulièrement nombreuses », observe la Cour des comptes, soulignant que « seule une petite minorité – autour de 10 % – des OQTF sont exécutées ».

Une proportion « très faible », a commenté lors d’une conférence de presse le premier président de la Cour, Pierre Moscovici.

Priorité sur les délinquants

Depuis l’été 2022, les autorités concentrent leurs efforts sur les profils présentant une menace à l’ordre public ou ayant été condamnés pénalement, une « priorisation pertinente », estiment les auteurs du rapport.

Selon les données compilées par la Cour des comptes, ce virage correspond à une tendance lourde sur les années 2019-2022 : lorsqu’une procédure d’expulsion est enclenchée au motif d’une menace à l’ordre public, elle est exécutée dans 23 % des cas, 45 % lorsque c’est en raison d’une condamnation pénale. A l’inverse, une OQTF délivrée à un débouté de l’asile ou après un refus de titre de séjour ne se conclut que dans 2 % des cas par une expulsion.

Résultat : mi-décembre 2022, 91 % des personnes enfermées en centre de rétention administrative (CRA) l’étaient en raison de troubles à l’ordre public ou pour radicalisation, contre 44 % mi-août 2022. Jeudi, le ministère de l’Intérieur a annoncé une hausse de 30 % sur un an des expulsions d' « étrangers délinquants », avec 4.686 personnes expulsées en 2023 contre 3.615 en 2022.

Un manque d’organisation

Grâce à sa loi, le gouvernement veut réduire de douze à quatre le nombre de recours pour contester les procédures d’expulsion et lever plusieurs protections accordées à certaines catégories de personnes, par exemple les étrangers arrivés en France avant 13 ans. Mais plusieurs autres « obstacles expliquent ce faible taux » d’expulsion, énumère la Cour des comptes.

D’abord, de nombreux pays d’origine rechignent à délivrer des laissez-passer consulaires, sésames diplomatiques pour l’expulsion. A cet égard, les auteurs recommandent de « centraliser la procédure de demande de laissez-passer consulaire, sauf exception, pour améliorer les relations avec les consulats et le taux de succès des demandes ».

Ensuite, l’administration peine à démontrer l’identité des personnes qu’elle cherche à expulser, dans « 20 à 30 % » des procédures. Enfin, le très grand nombre de procédures enclenchées « engorge les préfectures » qui « délivrent parfois des OQTF à des personnes insérées dans la société » ou « qui ne peuvent pas être éloignées », par exemple des ressortissants de pays en guerre. « L’Etat peut mieux s’organiser », résume donc la Cour, mais l’objectif fixé par le président de la République, Emmanuel Macron, d’exécuter 100 % des OQTF paraît « fantasmatique », selon Pierre Moscovici.