innovationsPeinture, led… La révolution nocturne de nos routes est-elle en marche ?

Peinture lumineuse, led dans le sol… La révolution nocturne de nos routes est-elle en marche ?

innovationsPlusieurs sociétés françaises, à l’image de Colas et Olikrom, travaillent à rendre le réseau routier plus sûr avec des dispositifs lumineux étonnants. Leur homologation par l’Etat est toutefois un long processus
Frédéric Brenon

Frédéric Brenon

L'essentiel

  • Le dispositif Flowell de la société Colas prend la forme de led dynamiques insérées dans la chaussée. L’utilisation sur les passages piétons est autorisée depuis peu.
  • Le dispositif Luminokrom de l’entreprise Olikrom est une peinture restituant la lumière du soleil durant la nuit. Plusieurs expérimentations sont en cours.

On l’appelle le solstice d’hiver. Ce vendredi est le jour de l’année où le soleil est le plus éloigné de l’hémisphère nord de la Terre, le jour où la luminosité naturelle est donc la plus courte. Pas plus de 8 heures et 18 minutes de jour sont annoncées. Et ce ne sera pas beaucoup mieux les journées suivantes. Une période délicate pendant laquelle la visibilité sur les routes devient un enjeu de sécurité majeur, a fortiori dans un contexte où la plupart des collectivités décident de réduire l’éclairage public dans un souci environnemental et de sobriété énergétique. Heureusement, plusieurs industriels français tentent d’apporter des réponses innovantes.

C’est le cas de Colas et de son dispositif Flowell. Ce marquage au sol lumineux permet d’éclairer des passages piétons ou carrefours grâce à des dalles fines équipées de led insérées dans la chaussée. Plus surprenant encore, le système, relié à des capteurs, se déclenche de lui-même lorsqu’un usager de la route se présente. « Quand elles sont éteintes, les dalles sont transparentes. Mais dès qu’elles s’allument, la scène change, même en pleine journée », explique Etienne Gaudin, directeur de Flowell chez Colas.

« On vise une centaine d’installations par an »

En test depuis 2019, Flowell bénéficie depuis l’été dernier d’une homologation officielle de l’Etat pour une utilisation sur les passages piétons uniquement. « Les retours d’expérience sont très positifs. Les piétons se sentent davantage en sécurité et les automobilistes ralentissent. On a d’ailleurs pu mesurer que le taux de respect du passage piéton passe de 67 % à 94 % avec Flowell », se réjouit Etienne Gaudin.

Un passage piéton équipé par le dispositif Flowell de Colas.
Un passage piéton équipé par le dispositif Flowell de Colas. - Flowell

« Cette technologie peut être bénéfique dans la mesure où elle renforce la visibilité d’un marquage déjà en place, observe Christian Sautel, directeur de projets au sein du Cerema, l’établissement public ayant supervisé la mise en œuvre de Flowell pour le compte de l’Etat. Le côté dynamique ouvre également des perspectives intéressantes pour d’autres cas d’usage. Il serait toutefois inutile et trop onéreux d’équiper tous les passages piétons des villes. Il y a des sites où les bénéfices ne sont pas flagrants. Il faut aussi faire attention à la pollution lumineuse. »

Le coût d’installation avoisine 25.000 euros « clé en main », selon Colas. Bien plus cher qu’un passage piéton traditionnel, mais proche du coût d’une traversée piétonne équipée de feux. « Une dizaine de passages sont déjà réalisés. A moyen terme, on vise une centaine d’installations par an », évoque Etienne Gaudin, qui espère désormais obtenir des homologations pour d’autres cas de figure.

« Les bandes s’illuminent la nuit pendant dix heures »

De son côté, une société bordelaise développe depuis près de dix ans une peinture dite « photoluminescente » adaptée au marquage routier. Son concept : elle emmagasine en journée les rayons lumineux, même par mauvais temps, et les restitue la nuit, à l’image de certains jouets ou éléments de décoration. « Les bandes peintes s’illuminent dans le noir pendant dix heures, sans alimentation électrique ni émission de CO2. Cela crée un guide lumineux, rassurant, visible jusqu’à 80 mètres », explique Jean-François Létard, dirigeant-fondateur de l’entreprise Olikrom. Principalement testé sur des voies cyclables, le dispositif baptisé Luminokrom fait aussi l’objet depuis le printemps d’une expérimentation sur une route départementale, au niveau d’un virage dangereux, en Loire-Atlantique. « C’est bluffant, on voit hyper bien les lignes en pleine nuit même si le rendu un peu vert est étonnant. L’effet est vraiment sécurisant », considère Christophe, 44 ans, un riverain.

Des pistes cyclables équipées de la peinture Luminokrom (illustration)
Des pistes cyclables équipées de la peinture Luminokrom (illustration) - Olikrom

Chargé également du suivi de cette expérimentation, laquelle doit durer deux ans, le Cerema se montre plus prudent. « L’utilité du produit reste à démontrer. La luminance (lumière perçue par l’œil humain) du produit est-elle réellement suffisante par rapport à celle de la route éclairée par les feux de véhicule ? Est-elle également suffisante tout au long de la nuit, selon la clarté de l’environnement, le vieillissement de la peinture ou son encrassement ? On a besoin de produire des résultats sur la durée », rapporte Jean-Noël Gaudin, ingénieur au sein de l’équipe de recherche Eclairage et lumière du Cerema. « Plus l’environnement est sombre, plus le résultat sera spectaculaire », reconnaît Jean-François Létard, qui affirme que sa peinture « résiste très bien aux aléas climatiques » et « au passage d’un million de véhicules par an ».

Le surcoût de cette peinture est « aussi une donnée à prendre à compte », relève le Cerema. Il faut dire que Luminokrom est, de l’aveu même de son fabricant, « dix fois plus cher » qu’une peinture blanche classique. « Cela revient à environ 10.000 euros du kilomètre en comptant la main-d’œuvre, avance Jean-François Létard. Mais si l’on compare à la facture d’un éclairage public (entre 200.000 et 400.000 euros du kilomètre), c’est très avantageux. »

« On se heurte à la lourdeur de l’administration »

En attendant, Luminokrom n’a, contrairement au dispositif Flowell, reçu aucune homologation de l’Etat. Ce qui a le don d’agacer le patron d’Olikrom. « Ça fait cinq ans que notre technologie est déployée sur différents terrains d’expérimentation, qu’est-ce qu’on attend ? s’interroge Jean-François Létard. On se heurte à la lourdeur de l’administration. J’ai une vingtaine de collectivités qui attendent un feu vert pour mettre notre peinture et ne le peuvent pas. Les matériaux ont évolué, s’en emparer va dans le sens de l’histoire, surtout s’il s’agit d’une innovation française. Les règlements sont trop longs à bouger. Vaut-il mieux laisser les gens dans le noir ? »

« Les procédures prennent du temps. En tant qu’entrepreneur, on aimerait effectivement que les choses aillent un peu plus vite », estime Etienne Gaudin de Colas. « C’est vrai que c’est long mais on parle de Sécurité routière, objecte Christan Sautel, du Cerema. Les autorités compétentes sont sollicitées par beaucoup d’organismes proposant des évolutions techniques. Il faut que les idées soient réalistes, sûres et éprouvées avant de prendre une décision qui engage. »

En parallèle de Colas et Olikrom, d’autres sociétés, comme Cryzal et son balisage lumineux et solaire, travaillent à des solutions permettant de rendre la route plus visible en nocturne. « Les dispositifs actuellement en vigueur sur les routes françaises sont assez anciens, rappelle Etienne Gaudin. La peinture réfléchissante était peut-être la dernière innovation majeure et elle a une cinquantaine d’années. De nouvelles technologies arrivent et c’est tant mieux. Je suis convaincu qu’elles vont se développer. »