« J’avais interdiction de me présenter à mon poste et dans mon école », confie une étudiante chinoise privée de papiers
VISA•Depuis la dématérialisation des procédures de renouvellement de titre de séjour, de nombreux étudiants étrangers doivent faire face à des difficultés administrativesElise Martin
L'essentiel
- Depuis 2021 et la dématérialisation des procédures pour les titres de séjour, « des dizaines et des dizaines d’étudiants chaque année », d’après un cabinet d’avocat grenoblois, se retrouvent « sans papier » à cause de « dysfonctionnement » administratifs.
- Xuesheng, une étudiante chinoise en alternance, a témoigné auprès de 20 Minutes pour montrer à quel point cette procédure avait des conséquences sur « les êtres humains derrière les demandes de visa ».
- D’après Maxime, manager et tuteur d’une grande multinationale, ces problèmes de papiers ont aussi « des incidences » sur « l’image » de la France et son « accueil » des étudiants étrangers.
«Je ne suis pas une réfugiée illégale, je veux juste étudier tranquillement. » Xuesheng*, 24 ans, est arrivée de Chine en septembre 2022 en France pour intégrer une école de commerce et de management à Grenoble, en Isère. Après un an de master, elle a voulu poursuivre son cursus en alternance.
« Il a donc fallu que je fasse une demande de renouvellement de titre de séjour, poursuit l’étudiante. Il faut envoyer tous les documents deux mois avant la fin du visa. Mais c’était impossible de rassembler tout ce qu’il fallait à temps. Et je ne voulais pas déposer un dossier incomplet car il pourrait être rejeté. Alors, j’ai envoyé les papiers en retard et j'ai eu une attestation de prolongation de l'instruction de la demande de carte de séjour. Et c'est là où toutes les galères ont commencé... »
La préfecture de l’Isère précise effectivement que « la complétude des dossiers dès le dépôt est le point essentiel des procédures afin de pouvoir immédiatement engager le travail d’instruction » car « 70 % des dossiers présentés sont encore incomplets ».
« Interdiction de sortir de la France, au risque de ne plus pouvoir revenir »
Avec cette attestation valable trois mois, Xuesheng a pu commencer ses missions dans l’entreprise qui l’emploie, à Paris, tout en suivant sa formation à Grenoble. « Puis, le jour où est arrivée la fin de mon visa, dans la seconde, j’ai tout perdu », raconte-t-elle. Son contrat d’alternante a été suspendu. Ses aides sociales aussi. « J’avais interdiction de me présenter à mon poste et dans mon école, poursuit-elle. Mais aussi interdiction de sortir de la France, au risque de ne plus pouvoir revenir. »
« C’est juste un papier pour la préfecture, alors que pour nous, étudiants internationaux, c’est notre vie », ajoute-t-elle. Cette étudiante chinoise insiste sur « le stress permanent » que l’administration française lui fait subir et le temps que ça lui prend. « Ça a une incidence énorme sur ma santé mentale, lance-t-elle. Je dois gérer mes études, mes responsabilités professionnelles et en plus, tout ce processus, dans une langue qui n’est pas ma langue maternelle. J'ai l'impression que personne ne se rend compte de l'investissement que demandent des études en France pour des étrangers. » Pour elle, ce système d’instructions des titres, mis en place depuis 2021, n’est pas adapté aux « êtres humains » derrière les demandes de visas.
Des dizaines d’étudiants concernés
Et Xuesheng n’est pas la seule dans ce cas. « Depuis la généralisation des dossiers dématérialisés, il y a des dizaines et des dizaines d’étudiants dans la même situation chaque année, confirme l’avocate Delphine Combes. Et on ne parle que de ceux qui décident de faire appel à des avocats, ne sachant plus quoi faire. »
Face à cette procédure, le seul moyen d’action est alors de faire des référés libertés. « Les textes de loi n’ont pas évolué en même temps que les procédures, donc il y a forcément des dysfonctionnements administratifs, explique Me Delphine Combes. Ça ne fonctionne pas à chaque fois mais c’est le seul moyen de permettre une régularisation. » Elle rappelle que, du côté de l’administration, c’est simplement « une actualisation » d’un dossier. « Il n’y a aucun enjeu sur le droit de rester sur le sol français, appuie-t-elle. Le problème, c’est cette situation d’attente, où ils n’ont plus rien. »
Interrogés sur ces questions, les services de l’Etat assurent que « les critères d’instruction demeurent les mêmes tels que prévus par la législation » et qu’une « équipe dédiée est spécifiquement dévolue au traitement des dossiers des étudiants internationaux ». Pour la préfecture de l'Isère, la dématérialisation est « une manière de limiter les déplacements et la multiplication des rendez-vous » mais aussi de « favoriser le travail d’instruction et la maîtrise des délais ».
Un système qui dessert l’insertion des étudiants internationaux
Mais pour les entreprises aussi cette procédure est « un enfer ». « D’après les ressources humaines, des problèmes de papiers arrivent régulièrement, explique Maxime, manager et tuteur dans une grande multinationale. Le souci, c’est que ça a des répercussions sur la boîte. » Depuis plusieurs années, la diversité faisant partie intégrante de l’ADN de son entreprise, 10% des alternants recrutés chaque rentrée sont étrangers. « Tout est stoppé d’un coup, il faut alors prendre en charge les missions des étudiants en attendant, sans savoir combien de temps ça peut durer. » Et les entreprises n’ont pas de leviers pour accélérer les procédures. Celle de Maxime a tenté. En vain.
Toutes nos infos pour les étudiantsAinsi, d'après lui, « tout le monde y perd ». « Les alternants ne sont évidemment pas sanctionnés, poursuit-il. Mais c’est sûr que ça nous fait reconsidérer le fait de travailler avec telle ou telle école ou telle ou telle préfecture en sachant ce qui peut se produire. » Il conclut : « Cette façon d’accueillir les étudiants étrangers ne donne pas du tout une bonne image de la France… Il faut sincèrement reconsidérer le fonctionnement pour ne pas pénaliser l’insertion des talents dans notre pays mais aussi de nos étudiants à l’étranger. »
* Le prénom a été modifié.
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