Précarité : « Sans la débrouille, j’aurais déjà complètement coulé », raconte une maman solo
TÉMOIGNAGE•Malgré un salaire de 1.800 euros mensuels, Claire, mère de cinq enfants, ne s’en sort plus financièrement. Comme de nombreuses mères isolées, chez qui la précarité a augmenté en France, a démontré un récent rapport du Secours catholiquePropos recueillis par Julie Urbach
L'essentiel
- Claire, mère célibataire de cinq enfants, vient de déposer un dossier de surendettement, car elle n’arrive plus à subvenir aux besoins de sa famille, entre la maison à rembourser seule et les nombreux frais.
- Une situation qui est à l’image du triste constat récemment dressé par le Secours catholique : la précarité et notamment celle des femmes ne cesse de s’accentuer en France.
- Elle raconte à 20 Minutes comment elle tente de se sortir du « tourbillon » de la précarité.
A bientôt 40 ans, Claire (prénom d’emprunt) doit compter chaque euro. Une nécessité pour cette mère de cinq enfants qui traverse une période particulièrement compliquée. Cette assistante de projet, qui rapporte avoir subi des violences de la part de son ex-conjoint, est « prise à la gorge » avec une maison à rembourser seule en plus de nombreux frais, malgré un salaire de près de 1.800 euros.
Une situation qui est à l’image du triste constat récemment dressé par le Secours catholique : la précarité et notamment celle des femmes ne cesse de s’accentuer en France. A tel point que les mères isolées comme Claire représentent désormais plus d’un quart (25,7 %) des bénéficiaires. Sous couvert d’anonymat, cette habitante de Loire-Atlantique a accepté de se confier à 20 Minutes.
« Un tsunami sur notre maison »
« En 2020, un tsunami s’est abattu sur notre maison. A la suite de violences intrafamiliales et d’un placement judiciaire des enfants, je me suis finalement retrouvée seule avec eux à devoir tout assumer financièrement. Avant, on avait une situation moyenne. Pas riches mais on s’en sortait, avec une maison que l’on avait rénovée nous-mêmes. Là, je suis rendue au point où même en gagnant 1.780 euros par mois, je suis au bout de mes capacités, donc j’ai lancé un dossier de surendettement. J’avais fait une demande de logement social, mais avec cinq enfants, on m’a dit qu’il ne fallait même pas que j’espère. »
« Les yaourts, je les compte »
« Je me rappelle, à la fin du premier mois, il n’y avait plus rien dans le frigo, donc j’ai filé voir l’assistante sociale. On a repris toutes les lignes du budget, et je me suis rendu compte que, même en travaillant, je ne pourrai pas assumer le quotidien, même basique. J’ai été nourrie au départ par la Croix-Rouge, j’y allais l’après-midi et je rattrapais mes heures de travail la nuit. Ce qui est très dur, c’est de faire comprendre aux enfants qu’ils n’ont pas le choix dans la nourriture. Qu’ils ne peuvent plus se permettre de dire "je n’en veux pas", car il n’y a rien d’autre. On mange beaucoup de boîtes de conserve. Les yaourts, je les compte, et s’il n’y en a pas assez, je dis que je ne veux pas de dessert. »
« Mon budget : -180 euros par mois »
« Aujourd’hui, j’ai accès à une épicerie solidaire de ma ville. C’est plus humain parce qu’on choisit et qu’on paie quelque chose, même si c’est un tarif hyper réduit. Pour le reste du budget, je note tout sur un tableur Excel : l’emprunt de la maison représente plus d’un tiers, l’eau et l’électricité ont explosé… Quand j’additionne tout, en ce moment, même avec les aides de la CAF et les pensions, j’arrive à -180 euros… J’ai encore eu des frais d’avocat, il faut aussi payer le garçon au pair qui va chercher les enfants au car scolaire. Il n’y a aucune place à l’imprévu : quand ma voiture a eu besoin de grosses réparations, heureusement que le Secours catholique a pu m’aider. En fait, on se retrouve happé et on a l’impression qu’on descend comme dans un tourbillon. Si on continue à dépenser, on coule. Sans la débrouille et tous les efforts que je fais pour m’en sortir, j’aurais déjà totalement coulé. »
« Accepter les mains tendues »
« On développe tout un tas d’astuces : Vinted et Le Bon Coin pour les vêtements, un gros congélateur pour le pain, récupérer des vélos des voisins et les réparer. Je connais aussi un artisan que j’aide parfois sur le plan administratif et qui vient boucher les trous de mon toit et me donner des palettes pour me chauffer. Au départ, c’était vraiment compliqué, mais j’ai fini par accepter les mains tendues. Dans le passé, c’est moi qui donnais, sans imaginer que je me retrouverais un jour dans cette situation. »
« On n’a pas beaucoup, mais on fait quand même »
« On a des discussions avec les enfants sur la valeur des choses, le plaisir d’offrir, les moments passés ensemble. Moi je ne peux pas emmener mon fils au karting, donc c’est son parrain qui lui offre pour son anniversaire. Ma grande, pour Noël, a demandé une sortie à poney. Cet été, j’ai déniché des places pour le Puy du Fou, pour moins de 100 euros. La journée la plus merveilleuse de leur vie. Sinon, on fait les musées à Nantes, gratuits le premier dimanche du mois. On ira au marché de Noël même si je ne pourrai rien leur acheter. On n’a pas beaucoup, mais on fait quand même. Ça nous ramène à l’essentiel. »
« Cinq ans pour s’en sortir »
« Aujourd’hui, on n’a pas réellement de manque, mais j’ai toujours ce stress qui revient : "Comment je vais faire pour payer ?" C’est une hantise qui peut m’empêcher de dormir, même si ça aurait pu être bien pire. Mes enfants sont heureux, et je leur ai dit : "Laissez-moi cinq ans." J’ai recommencé des études en formation continue, même si, parfois, je n’avais plus d’essence dans la voiture pour y aller, donc ça a pris du retard. Mais j’espère avoir mon master en 2025 et, d’ici là, ne plus sentir cette pression. Cette boule au ventre quand on sort la carte bancaire et qu’on se demande si elle va passer. »