« Les cas d’usage du drone sont de plus en plus nombreux et complexes »
TECHNOLOGIE•Le drone sert aujourd’hui autant aux pompiers pour suivre l’évolution d’un incendie, qu’à nettoyer des bâtiments historiques ou planter des graines dans un champMickaël Bosredon
L'essentiel
- «Le secteur du drone est en évolution permanente, constate François Baffou, directeur de Bordeaux Technowest, et les cas d’usage sont de plus en plus nombreux et complexes. »
- La start-up Agrodrone cherche par exemple à se spécialiser dans le semis du couvert végétal, pratique qui consiste à semer diverses espèces végétales entre les rangs des cultures, notamment en période hivernale.
- Drones Ingenierie Systemes réalise de son côté du nettoyage de bâtiments de grande hauteur, ou patrimoniaux, à l’aide de drones.
Cela fait maintenant plusieurs années que le drone (civil) ne sert plus seulement à prendre de jolies photos et vidéos. Qu’il s’agisse de faire de la reconnaissance de bâtiments ou d’infrastructures, suivre la progression d’un incendie, nettoyer une toiture ou bien encore planter des graines dans un champ, les applications sont multiples, nous avons pu nous en rendre compte lors du dernier UAV Show, le salon européen du drone professionnel, qui s’est déroulé à Bordeaux du 10 au 12 octobre dernier.
« Le secteur du drone est en évolution permanente, constate François Baffou, directeur de Bordeaux Technowest, à l’origine du tout premier salon UAV Show, en 2010. Quand je compare la différence de technologie et d’intelligence embarquée entre notre premier salon et celui de cette année, c’est fou. Et les cas d’usage sont de plus en plus nombreux et complexes. » Désormais, « les principaux enjeux ne portent plus vraiment sur le drone lui-même, mais sur le capteur et le traitement de la data », ajoute Nicolas Parant, directeur de Cesa Drones, une entité de Bordeaux Technowest.
« Avoir une vision plus rapide des sinistres » pour les pompiers
Ce ne sont pas les pompiers des Landes et de la Gironde qui diront le contraire. Présents lors du salon à Bordeaux, ils expliquent être équipés depuis 2020 de trois drones pour les premiers, cinq pour les seconds, « pour différents types de missions » analyse le capitaine Thierry Lamothe, du Sdis des Landes. « Nos drones nous servent pour de la reconnaissance, sur les feux de bâtiments, et avec une spécificité pour la région qui est celle du feu de forêt. On a besoin d’avoir de l’image en temps réel pour se faire une idée de la situation, et de pouvoir revoir ces images pour de l’analyse. Nous les avons largement utilisés durant les incendies de 2022, ce qui nous a permis d’avoir une vision beaucoup plus rapide de l’ampleur des sinistres. Et avec leur fonction caméra thermique, ils ont aussi pu détecter les points chauds, ce qui nous a permis de les traiter plus efficacement à l’aide de véhicules. »
Le capitaine Benoit Isner, du Sdis de la Gironde, ajoute que « l’on s’en est aussi servi lors de l’orage de grêle de 2022 sur le secteur du Taillan-Médoc, pour de l’évaluation de dégâts. Ils se sont également avérés très utiles lors de feux sur des sites industriels ou dans le centre-ville de Bordeaux, pour surveiller la progression des incendies. A l’avenir, on peut aussi imaginer le drone comme un outil pour transporter des charges légères, ou apporter des cordes à nos équipes spécialisées. »
Agrodrone prêt à dégainer des engins de 200 kg
Ingénieur aéronautique et issu du monde de l’aéromodélisme, Patrice Rosier est un des pionniers du drone en France. Sa société Reflet du Monde est présente dans quasiment tous les secteurs, de la formation à la R & D en passant par la prestation et la vente de matériel. « C’est comme cela qu’on a pu travailler avec plein de grands groupes comme Enedis, RTE, l’ONF, nous raconte le dirigeant. Nous continuons d’avancer au gré du marché qui se développe, et aujourd’hui nous travaillons avec l’industrie, l’agriculture, et nous avons même désormais une entreprise qui ne travaille que dans le domaine agricole, Agrodrone. »
La start-up Agrodrone a été lancée en mars dernier, et s’est spécialisée dans le semis de graines, la pulvérisation de produits pour la démoustication ou la protection des cultures sous serre. L’entreprise utilisait jusqu’ici des drones de 25 kg, et va bientôt passer aux drones de 200 kg, « ce qui sera une première en France, pour décupler la productivité » explique Patrice Rosier.
« Industrialiser la pratique du couvert végétal des cultures »
La start-up cherche notamment à se spécialiser dans le semis du couvert végétal, pratique qui consiste à semer diverses espèces végétales entre les rangs des cultures, notamment en période hivernale. L’objectif est d’empêcher les mauvaises herbes de pousser et de limiter l’utilisation des pesticides de synthèse. Le couvert végétal peut aussi enrichir le sol en matières organiques et en azote, et lutte ainsi contre le réchauffement climatique.
« Utiliser les sols agricoles pour piéger du CO2 est un potentiel bien plus énorme que les forêts, car plus de la moitié des sols en France, et en Europe, c’est de l’agriculture, assure Patrice Rosier. Or, la moitié de l’année, ces sols sont nus car il n’y a pas de culture, les recouvrir représente donc un énorme puits de carbone. » C’est ce qui est détaillé dans l’initiative 4 pour 1.000 élaborée par des chercheurs de l’Inra (Institut national de la recherche agronomique), qui préconisent ainsi la couverture permanente des sols pour augmenter le stockage de carbone. « C’est un potentiel clairement sous-exploité, et nos nouveaux moyens technologiques vont permettre de décupler cette pratique » explique encore le patron de Reflet du Monde. « L’ambition d’Agrodrone est d’industrialiser cette pratique du couvert végétal. »
Le grand hôtel de Biarritz nettoyé deux fois par an en cinq semaines
Autre application qui se développe grâce au drone, le nettoyage des toitures, et de bâtiments historiques. Patrice Le Foll, directeur de Drones Ingénierie Systemes, basée à Bordeaux, a même durant l’UAV Show organisé une démonstration de nettoyage d’une carlingue d’avion par drone.
C’est le même drone qui sert au nettoyage des bâtiments de grande hauteur, ou patrimoniaux comme des églises. « Cela va plus vite que monter et démonter un échafaudage, explique Patrice Le Foll. Nous avons réalisé le château-hôtel du Grand-Barrail à Saint-Emilion, l’église de Montussan, celle de Gaillan-en-Médoc, de Naujac… Mais notre plus belle réalisation reste le grand hôtel à Biarritz, que l’on nettoie deux fois par an, ce qui représente 18.000 m² de surface. Il faut compter cinq semaines environ. »
Des prestations rendues possibles grâce « au développement des cartes électroniques, à l’allégement des drones, et surtout l’amélioration de leur autonomie, puisque l’on est passé en quelques années de 5 à 10 minutes de vol à 30 minutes aujourd’hui. »
Lutte contre les moustiques ou les frelons
Drones Ingénieries Systèmes intervient aussi dans des opérations de démoustication. « On traite de très grandes étendues, comme le bassin d’Arcachon, et nous sommes aussi efficaces dans l’élimination des larves qu’un traitement conventionnel » explique Patrice Le Foll, qui reconnaît donc « ne pas avoir amélioré le système », à cette seule différence que « l’on peut atteindre des endroits inaccessibles comme des marécages, où les moustiques pondent le plus. »
François Baffou croit de son côté à l’efficacité du drone comme un futur acteur de la lutte contre les moustiques ou encore les frelons. « Il le sera aussi demain dans le transport de sang dans des endroits difficiles d’accès. » En revanche, il reconnaît que les espoirs placés dans le drone pour effectuer de la livraison de marchandise ont fait pschitt… « Effectivement le drone n’a pas montré sa pertinence dans ce domaine, et personnellement je n’y crois pas, hormis pour la livraison de produits liés à la santé, ou à forte valeur ajoutée. »