Alsace : « Je suis bizarre, non ? » Julie passe de la boulangerie aux soins des défunts
NOUVELLE VERSION (7/7)•Durant toute la semaine, 20 Minutes dresse le portrait d’hommes et de femmes qui ont tout plaqué pour entreprendre ou changer de vieThibaut Gagnepain
L'essentiel
- Selon l’étude de janvier 2023 de l’Association pour le droit à l’initiative économique (Adie), quatre Français sur dix ont envie d’une reconversion professionnelle – deux sur dix l’ont déjà fait – et pour plus d’un tiers d’entre eux, cela passe par la création de leur propre boîte.
- Pourtant, toujours selon l’Adie, peu franchissent le pas. Mais ce n’est pas le cas de Laura ou Jean-Michel, des Français que 20 Minutes a rencontrés et qui, eux, ont complètement changé de vie.
- Dans ce dernier numéro de sa série « nouvelle version », 20 Minutes dresse le portrait de Julie Muller, qui va passer de la boulangerie familiale aux soins des défunts afin de devenir thanatopractrice.
Déjà, il faut connaître le nom. « Thanatopracteur » et « thanatopractrice » font partie du vocabulaire de Julie Muller depuis longtemps. « Petite, elle me disait qu’elle voulait s’occuper des morts », se souvient sa mère Yvette, « pas du tout surprise » de voir sa fille emprunter cette voie aujourd’hui. A 30 ans, après avoir connu une première carrière dans la boulangerie familiale située à Illkirch-Graffenstaden (Bas-Rhin).
« A l’origine, j’avais fait des études de coiffure », précise l’intéressée. « Puis après avoir validé l’examen, j’ai eu une maladie auto-immune qui touchait les mains… C’était impossible de continuer. J’avais 18 ans, mes parents avaient besoin d’une vendeuse à mi-temps, je suis allée bosser. » Sans grande passion. A côté d’elle, sa grande sœur Céline confirme : « C’était dur au début. Elle n’a jamais vraiment aimé les gens, il a fallu la sociabiliser. » « Et lui mettre quelques coups de pied au cul et lui dire de sourire », ajoute la maman, quand même ravie d’avoir vu la benjamine peu à peu prendre ses marques. « Oui, c’était une bonne vendeuse. »
Depuis début octobre, elle a définitivement rangé le tablier. Pile au moment où ses parents cédaient leur affaire. « Oui, j’ai attendu qu’ils partent en retraite car ça aurait été très compliqué de me remplacer, c’est très dur de trouver des gens », précise Julie Muller, qui n’avait néanmoins pas attendue pour débuter sa reconversion. Fin 2022, elle avait entrepris un stage de découverte chez les Pompes funèbres Michel, à proximité de Strasbourg.
« C’était quelqu’un de très volontaire et motivée. Elle voulait voir le maximum de choses », se souvient Lucas Michel en parlant « d’un petit bout de femme » avec « le cœur bien accroché ». Depuis, un autre stage et un diplôme validé de conseiller funéraire ont suivi. Mais ça ne suffit encore pas à la trentenaire, qui envisage de donc de devenir thanatopractrice. « Je vais commencer la formation à distance et j’espère avoir l’examen théorique pour ensuite passer à la pratique », détaille celle qui a déjà pu observer un de ces spécialistes à l’œuvre. Lorsqu’il retirait le pacemaker d’un cadavre après une rapide incision, lorsqu’il le vidait de son sang pour injecter une solution au formol, lorsqu’il lui nettoyait le corps, le maquillait etc. Le tout afin que le corps se conserve mieux, souvent pour des familles qui veulent le veiller plusieurs jours, ou en cas de transfert dans un pays étranger.
« J’aime ce calme »
« Je n’ai pas encore vu un défunt en très mauvais état mais l’odeur ne m’a pas dérangé », sourit-elle, sûre de sa reconversion. Adieu les « Bonjour, qu’est-ce que je vous sers ? », bonjour le silence. « J’aime ce calme, être seule et prendre soin de la personne. L’autre fois, une fois qu’on avait fini de l’habiller, son visage s’est relâché. Pour nous, c’était un plaisir », sourit Julie Muller, consciente que ses mots peuvent surprendre. « Faut avoir un petit problème dans la tête quand même ! », appuie sa cadette non sans en rire. Surtout qu’elle aussi s’est laissée convaincre pour la suivre dans sa nouvelle activité… « Juste un stage pour lui faire plaisir et on verra bien. Je préfère quand même les vivants moi ! »
La benjamine pas forcément, elle qui n’a jamais tremblé devant un film d’horreur. « Je regardais déjà petite les Saw et autres trucs du genre, ça me fait rigoler. Je suis bizarre, non ? » Pas plus qu’un autre, d’autant plus qu’elle a un beau projet en tête. « Mon rêve serait d’avoir ma propre entreprise de pompes funèbres et de pouvoir être la thanatopractrice de la boîte. » Pourquoi pas avec sa sœur à l’accueil des familles.
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