RSA, chômage… Pourquoi certains ne réclament pas leurs droits

RSA, chômage… Pourquoi certains ne réclament pas leurs droits

abandonEn France, environ 30 % des citoyens n’ont pas recours aux prestations sociales auxquelles ils peuvent prétendre, souvent en raison de la complexité du système
Camille Allain

Camille Allain

L'essentiel

  • Le taux de non-recours aux prestations sociales est d’environ 30 % en France et même de 34 % pour le RSA.
  • La complexité des dossiers et la fermeture de nombreux services publics seraient responsables de ce renoncement des bénéficiaires.
  • L’Etat a nommé 39 territoires pour mener des expérimentations de « zéro non-recours » qui démarreront en janvier 2024.

Le tribunal populaire fustige toujours les fraudeurs. Dotée de l’un des meilleurs systèmes de protection sociale au monde, la France doit évidemment faire face à de nombreux abus. En 2022, le ministère de l’Économie annonçait avoir récupéré 1,6 milliard de fraudes sociales grâce à ses plans de lutte engagés. Un montant bien loin de l’estimation livrée par la Cour des comptes, qui évaluait le montant global de la fraude aux prestations sociales « entre six et huit milliards d’euros ». Mais il est un autre combat que le gouvernement entend mener. S’ils souhaitent accentuer la lutte contre la fraude, nos dirigeants veulent également aller chercher toutes celles et ceux qui ne perçoivent pas leurs droits. Mais pourquoi ? 20 Minutes vous répond.

Le chantier est colossal. En France, on estime que le taux de non-recours aux prestations sociales est de 30 % en moyenne. Pour le Revenu de solidarité active (RSA), le chiffre grimpe à 34 % et même à 72 % concernant la complémentaire santé solidaire. Pour tenter de lutter contre ce phénomène, l’État vient de désigner plusieurs territoires « zéro non-recours » dans le cadre d’un appel à projets. A compter de janvier, 39 quartiers ou villes feront l’objet d’une expérimentation de trois ans. « L’objectif premier, c’est d’aller chercher les gens, de les informer de leurs droits et de les aider à les faire valoir », explique Christine Le Nabour. En 2018, la députée Renaissance d’Ille-et-Vilaine avait corédigé un rapport sur la « juste prestation » qu’elle avait remis à Édouard Philippe, alors Premier ministre. Mais pourquoi un état qui cherche en permanence à faire des économies veut-il verser des allocations à ceux qui ne le demandent pas ? « Parce que c’est un droit. Et plus on capte les gens tôt, mieux on les accompagnera. On ne sort pas les gens de la précarité en leur versant le RSA. Mais on leur offre un filet de sécurité et on peut s’assurer qu’ils aient un toit sur la tête et qu’ils mangent à leur faim », assure la députée.

A partir de janvier, les 39 territoires concernés par cette expérimentation vont emboîter le pas de Bastia, Paris et Vénissieux (près de Lyon), les trois communes déjà engagées dans ce test depuis 2021. Une enveloppe de six millions d’euros a été débloquée. « Ce qu’il faut, c’est établir le contact avec les personnes, leur expliquer ce à quoi ils ont droit mais surtout les aider à les obtenir. Les raisons du non-recours sont multiples. Certains se sentent perdus face aux structures, d’autres manquent de temps, ne parlent pas la langue ou ont peur d’étaler leur vie. C’est compliqué de dire à quelqu’un qu’on ne connaît pas qu’on est dans la merde », témoigne Nicolas Molle, ambassadeur des droits au sein de Passerelle, qui officie à Vénissieux.

La numérisation accusée du non-recours

Dans cette commune, où plus d’un tiers des habitants vit en dessous du seuil de pauvreté, les structures d’aide sont présentes mais elles ne parviennent pas à capter tout le monde. Le coupable ? « La dématérialisation », selon le travailleur social. Si la numérisation des démarches a facilité la vie et les démarches de nombreux citoyens, elle a aussi exclu tous ceux qui n’en maîtrisent pas les rouages, face à des dossiers hyper complexes à remplir.

« « La file d’attente à la CAF, c’est véritablement affreux. Mais au moins, vous avez quelqu’un à qui parler. Quand vous êtes face à un ordinateur, vous ne pouvez pas lui demander de vous expliquer ou de vous montrer comment faire », estime Nicolas Molle. »

Ce constat établi par le travailleur social lyonnais est conforté par l’analyse menée par Pierre Gravoin. Ce chercheur en socioéconomie a dédié sa thèse au sujet du non-recours pour le compte du Secours Catholique. « Dans l’immense majorité des cas, la numérisation génère un gain de temps et heureusement. Mais le problème, c’est qu’elle s’est accompagnée de baisses de moyens humains, avec des gens pas toujours formés qui doivent faire rentrer chaque situation dans une case », explique le jeune thésard. Et quand on ne rentre pas dans les cases ? « C’est là que c’est compliqué. Le RSA est très connu de la plupart des gens et dans la majorité des cas, on ne parle pas à des invisibles. Ce qui pose problème, c’est souvent les changements de situation. Les personnes qui sortent d’un emploi stable par exemple, elles se retrouvent parfois démunies face à des conditions d’éligibilité qu’elles ne comprennent pas ». Fatigués d’être baladés, perdus face à la complexité ou incrédules face au refus, bon nombre d’allocataires baissent les bras, renonçant de facto à leurs droits.

« Notre système est très complexe »

Lauréate de l’appel à projets, la ville de Rennes a choisi le quartier populaire de Maurepas pour en faire un territoire « zéro non-recours » dès 2024. « Dans ces quartiers, 80 % des demandes de RSA sont faites par le biais des centres d’action sociale. Cela illustre bien le besoin de présence », assure Cécile Papillion. L’adjointe à l’insertion et à l’emploi de la capitale bretonne entend faire davantage connaître les structures présentes dans le quartier, avec l’espoir de réduire le taux de non-recours. « Les bénéficiaires du RSA sont des citoyens avant tout. Ils doivent pouvoir être acteurs de leur parcours. Mais pour qu’on puisse les aider, il faut qu’on puisse les capter pour aborder toutes les problématiques de logement, de santé ou de modes de garde qu’ils doivent affronter », assure l’élue.

Pour tenter de mieux mailler le territoire, l’État avait ouvert un vaste chantier de création de maisons France Services, regroupant sous un même toit les différents services publics qui ont fermé en cascade. « Il faut le reconnaître, notre système est très complexe car on a voulu le personnaliser. Et c’est une bonne chose ! Mais il y a un renoncement. L’usager ne doit pas supporter la complexité de notre système. Ce qu’il nous faut, ce sont des agents formés capables de répondre aux situations sans laisser personne de côté », tonne la députée Christine Le Nabour. Mais de l’aveu de tous les interlocuteurs, les citoyens de ce pays ne sont pas tous égaux sur ce plan. Si certaines zones sont bien maillées par les structures France Services, d’autres sont bien peu dotées, laissant aux habitants le goût amer de l’abandon.