angoisse« Ça me bouffe de l’intérieur »… Elles vivent avec la phobie de la mort

Toussaint 2023 : « J’ai des visions horribles »… Elles souffrent de thanatophobie, la phobie de la mort

angoisseÀ l’occasion de la Toussaint, « 20 Minutes » s’est penchée sur une phobie peu connue mais très handicapante pour les personnes qui en souffrent : la thanatophobie, ou phobie de la mort
Lise Abou Mansour

Lise Abou Mansour

L'essentiel

  • Si la plupart des gens ressentent de la tristesse ou de l’anxiété en pensant à leur propre mort ou à celle à venir de leurs proches, chez d’autres, cette idée est terrifiante.
  • Pour ces personnes, la mort est devenue l’objet d’une phobie qui occupe leur esprit en permanence. Son nom : la thanatophobie.
  • « Il ne s’agit pas d’une pathologie mais d’un symptôme qui vient expliquer une souffrance », explique la psychothérapeute Nazyk Faugeras.

Quand on pense à la mort, globalement, personne n’est très enjoué. Mais si la plupart des gens ressentent de la tristesse ou de l’anxiété en pensant à leur propre finitude ou à celle de leurs proches, chez d’autres, cette idée est terrifiante. Pour ces personnes, la mort est devenue l’objet d’une phobie. Son nom : la thanatophobie. Peur panique à l’idée de tomber malade, d’avoir un accident de la route, de se promener dans un cimetière voire d’entendre le fameux mot qui commence par la lettre « m »…, les conséquences de ce symptôme peuvent devenir très handicapantes.

Pour Emilie, tout a commencé à la naissance du premier de ses deux enfants. La mère de famille redoute en permanence que son fils et sa fille décèdent. « Parfois, on joue ou on est en voiture, et j’ai des visions horribles dans lesquelles je me rends à la morgue et je les vois morts », confie-t-elle, la voix tremblante. Récemment, elle a regardé le film Don’t look up, qui traite de la catastrophe climatique menant à la fin de notre civilisation. Résultat : une crise d’angoisse incontrôlable. « J’ai complètement paniqué, j’étais en pleurs. J’ai dû appeler mon compagnon pour qu’il me rassure. »

Une peur obsessionnelle de la mort

« La thanatophobie n’existe pas dans les classifications psychiatriques classiques », prévient d’emblée le psychiatre Christophe Bagot. Selon lui, la peur de la mort est quelque chose de profondément humain. Mais si elle devient omniprésente, elle s’inscrit dans le cadre de troubles anxieux comme l’hypocondrie – la peur d’avoir une maladie mortelle – ou les troubles obsessionnels compulsifs – la nécessité d’effectuer des rituels pour éviter la mort.

« Il ne s’agit pas d’une pathologie mais d’un symptôme qui indique qu’il y a une souffrance » qui sera à chercher au cours d’une thérapie, confirme la psychothérapeute Nazyk Faugeras. Cette peur panique peut concerner sa propre finitude mais aussi celle de ses enfants ou d’autres personnes de son entourage. Dans tous les cas, l’angoisse est la même. « Cette peur obsessionnelle de la mort revient tous les jours, plusieurs heures par jour, et les personnes qui en souffrent n’ont pas de répit », poursuit le psychothérapeute Rodolphe Oppenheimer.

Tremblements, palpitations cardiaques et transpiration

Cette angoisse se manifeste donc par des pensées obsédantes mais aussi, parfois, des symptômes physiques. « Généralement, cela prend la forme de scénarios catastrophes, explique la psychothérapeute. C’est donc surtout psychique. Mais quand cela génère trop d’angoisse, il peut y avoir des manifestations corporelles avec des tremblements, des palpitations cardiaques, de la transpiration. »

Emilie connaît bien ces attaques de panique. « Quand on me parle de la mort, j’angoisse et mon ventre se serre. Mon fils veut souvent en discuter, donc je suis obligée de passer outre ma peur. Mais quand je lui en parle, je dois me forcer à ne pas pleurer. » Pour la psychothérapeute, cette angoisse s’explique psychologiquement. « La mort est un destin auquel on ne peut pas échapper et qu’on ne contrôle pas. Quand on se bat contre une mort inévitable mais impossible à accepter, l’angoisse survient. » Emilie le reconnaît, c’est cette absence de contrôle qui la terrifie. « On est né pour mourir mais c’est difficile de l’entendre. Je n’arrive pas à m’y faire. »

Une peur qui prend toute la place

Et les conséquences de la thanatophobie peuvent être désastreuses au quotidien. « La peur la handicape dans sa vie relationnelle, personnelle, professionnelle, souligne Nazyk Faugeras. Elle vient saboter son existence. » C’est le cas de Kim *, 30 ans. Chez elle, tout a commencé il y a huit ans quand, déjà orpheline de mère, elle perd son père. Depuis, elle pense à la mort constamment. « Je peux être en soirée chez des amis et tout d’un coup, je me dis que l’appartement peut prendre feu et que d’une seconde à l’autre, je peux mourir. »

Kim ressent donc une peur exagérée des situations qui pourraient conduire à sa mort. La jeune femme redoute de conduire et d’avoir un accident, de prendre le train et qu’il déraille, de sortir et de se faire contaminer par quelqu’un de malade. Souvent, quand elle s’endort, elle se réveille en sursaut. « J’ai l’impression d’être en train de décéder. »

Des situations d’évitement

Kim s’est progressivement renfermée sur elle-même. Aujourd’hui, elle ne parvient plus à sortir seule de son domicile. « Si je repère quelqu’un dans la rue qui est gravement malade, je vais changer de trottoir de peur qu’il me contamine même si je sais pertinemment que c’est impossible. » Au moindre mal de tête, la jeune femme pense qu’elle va mourir mais ne consulte pas de médecin. « Je me dis que si j’évite le diagnostic, j’évite la mort. » C’est ce que les spécialistes nomment des « situations d’évitement ».

Cette angoisse irraisonnée de la mort peut générer un profond mal-être. « Pour eux, s’il n’y a plus d’après, l’avant ne sert à rien », résume Rodolphe Oppenheimer. Kim le confirme. Sous antidépresseurs depuis des années, la jeune femme regrette de ne pas avoir consulté de spécialiste plus tôt. « Plus on laisse traîner, plus ça devient incontrôlable. » Emilie n’a pas encore franchi le pas. Quand elle sent l’angoisse monter, elle essaie de faire une activité, comme du ménage, pour s’occuper l’esprit. « Je sais qu’il faudrait vraiment que j’aille voir un psy parce que ça me bouffe de l’intérieur. »

Selon Nazyk Faugeras, le traitement passe par la parole. « Une psychothérapie ou une psychanalyse permettra de dénouer le nœud à l’origine de la souffrance. » Pour aider ses patients, Rodolphe Oppenheimer leur pose souvent la même question. « Je leur demande ce qui est le plus angoissant entre mourir un jour ou être obligé de vivre dans une forme d’éternalité qui durerait des milliers d’années, à se brosser les dents, s’habiller, se rendre au travail et faire la même chose tous les jours. » Le psychothérapeute l’assure, cela crée souvent un déclic.

* Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressée