reportageUne alerte à la bombe perturbe l’hommage rendu au professeur tué à Arras

Attentat à Arras : Un hommage à Dominique Bernard entre roses blanches, rubans noirs et alerte à la bombe

reportageLa cité scolaire Gambetta-Carnot a dû être momentanément évacuée à cause d’une alerte à la bombe, lors de l’hommage rendu ce lundi matin au professeur tué
Gilles Durand

Gilles Durand

L'essentiel

  • Une réunion était prévue, ce lundi matin, entre le préfet du Pas-de-Calais et le personnel de la cité scolaire Gambetta-Carnot d’Arras, trois jours après l'attentat sur venu dans ce lycée du Pas-de-Calais.
  • Le préfet a donné l’ordre d’évacuer les lieux après un coup de fil anonyme évoquant une bombe.
  • L’alerte, qui a renforcé la colère et l’incompréhension, n'a finalement pas empêché des dizaines de personnes de venir rendre hommage au professeur Dominique Bernard, en déposant des fleurs devant le lycée.

De notre envoyé spécial à Arras,

L’hommage était censé évacuer une partie du traumatisme. Il s’est transformé en une évacuation physique après une alerte à la bombe. Une réunion était prévue, ce lundi matin, entre le préfet du Pas-de-Calais et le personnel de la cité scolaire Gambetta-Carnot d’Arras, après l’attaque terroriste survenue au collège-lycée ce vendredi. La réunion a été rapidement écourtée. Le préfet a donné l’ordre d’évacuer les lieux après un coup de fil anonyme. Une alerte qui a renforcé les sentiments de colère et d’incompréhension.

« Comme si ça ne suffisait pas, c’est n’importe quoi de faire ça », a lâché Marie-Pierre, une Arrageoise venue rendre hommage à Dominique Bernard, l’enseignant assassiné. Son bouquet à la main, elle attend le feu vert des policiers pour pouvoir déposer les fleurs devant le lycée : « je suis une inconnue, mais mes enfants ont étudié dans ce lycée. Je voulais me recueillir. Tout simplement. »

« Je n'ai pas pu m'empêcher de venir »

A ses côtés, Jessica est tout aussi émue. Elle habite Rœux, un autre village près d’Arras : « je n’ai pas pu m’empêcher de venir. Mon fils est au collège donc forcément, ça me touche. » Comme Marie-Pierre ou Jessica, des dizaines d’élèves, d'enseignants ou d'habitants d'Arras et de ses environs sont venus ce lundi déposer une fleur, dès le petit matin, pour montrer leur solidarité.

Le fleuriste, situé à 200 m du lycée Gambetta, a d’ailleurs été dévalisé de toutes ses roses blanches. A 11 heures, il n’y en avait plus, comme l'a constaté un groupe de quatre lycéennes. « Ce matin, dès 9 heures, les lycéens faisaient la queue pour en acheter. On s’est retrouvé très vite en rupture de stock », explique la gérante, Ginette Dekoninck.

Certains commerçants d'Arras, dans le pas-de-Calais, ont accroché un ruban noir sur leur porte, en hommage au professeur du collège Gambetta-Carnot, tué  le vendredi 13 octobre 2023.
Certains commerçants d'Arras, dans le pas-de-Calais, ont accroché un ruban noir sur leur porte, en hommage au professeur du collège Gambetta-Carnot, tué le vendredi 13 octobre 2023.  - G.Durand

Les hommages avaient commencé samedi et dimanche. « En deux jours, j’ai vendu plus de 1.000 roses blanches. Heureusement que j’avais du stock. J’ai dû me réapprovisionner ce matin à Lille chez mon grossiste, mais ça n’a pas suffi. On est pris de court. » Sur la poignée de porte, un ruban noir est accroché. « C’est le symbole pour montrer que les commerçants d’Arras sont en deuil », indique encore Ginette Dekoninck.

« Soudain, il s’est évanoui »

Romain et Gabriel*, élèves de seconde à Gambetta, sont venus de Neuville-Saint-Vaast, un village situé à 10 km d’Arras, pour également « porter le deuil ». « On a un peu d’appréhension malgré le temps du week-end pour digérer », avoue Romain. Il a vu la scène d’agression, dans la cour du lycée, sur un autre professeur. « C’est comme un traumatisme », murmure-t-il. Un peu plus loin, Benjamin* n’a pas supporté le poids de l’émotion. Assis sur un banc, un malaise l’a saisi. Son copain, Robin, est immédiatement intervenu. « Il s’est mis à pleurer et soudain, il s’est évanoui. Il ne me répondait plus », raconte-t-il à 20 Minutes. Intervention des secours. Benjamin sera évacué dans une ambulance de la Sécurité civile.

Quelques minutes plus tard, les nouvelles sont rassurantes. « Il s’est réveillé, il va mieux », nous annonce Robin, un peu soulagé. Et le jeune homme de commenter : « nous sommes au lycée Savary-Ferry qui se situe un peu plus loin. On a appris que c’est devant notre lycée que le frère du tueur a été arrêté. On a entendu dire qu’il voulait aussi attaquer notre lycée. Forcément, on a un peu peur depuis. »

« Des dérives sur la laïcité avaient été signalées »

La peur, c’est aussi le sentiment qui domine chez Sophie Dumont, professeure d’Histoire-géographie à Gambetta. La peur et l’angoisse. « On vit, même pas au jour le jour, mais heure par heure. On fait les choses machinalement et à un moment, on n’y arrive plus, témoigne-t-elle. Je ne sais pas encore si je pourrais enseigner normalement. » Enseignante depuis trente dans ce lycée, elle a du mal à encaisser : « j’ai eu une prise en charge psychologique samedi matin pour ne plus voir ces scènes qui me semblent surréalistes, mais, en même temps, hyperréalistes. Maintenant, il va falloir tenir sur la durée, quand l’intérêt médiatique va retomber. »

Selon elle, le suspect, Mohammed M., avait déjà fait parler de lui lorsqu’il était au collège et au lycée. « Je ne l’ai jamais eu en classe, mais j’en ai entendu parler, se souvient-elle. Il y avait eu beaucoup de rapports de mes collègues. Des dérives sur la laïcité avaient été signalées. Ça remonte au rectorat. Après, on ne sait pas ce que ça devient. Apparemment, ça ne devient pas grand-chose. »

*Les prénoms ont été modifiés.