Sécurité routièreFaut-il vérifier régulièrement que les seniors sont aptes à conduire ?

Faut-il vérifier régulièrement que les personnes les plus âgées sont aptes à conduire ?

Sécurité routièrePauline Déroulède, fauchée en 2018 par un automobiliste de 92 ans, et deux députés, travaillent actuellement sur la possibilité de mettre en œuvre des contrôles médicaux réguliers pour les seniors
Nicolas Bonzom

Nicolas Bonzom

L'essentiel

  • Deux députés, Bruno Millienne (Modem) et Patrick Vignal (LREM), travaillent sur l’instauration de dispositifs, pour contrôler l’aptitude à la conduite des personnes âgées. Bruno Millienne a rédigé un projet de loi pour contraindre les seniors de 75 ans et plus à passer des examens médicaux réguliers. Patrick Vignal, lui, préférerait inciter les aînés à s’auto-évaluer, plutôt que de les contraindre.
  • Pauline Déroulède, une jeune femme fauchée par un homme de 92 ans en 2018, milite, elle, pour que tous les conducteurs soient soumis à des examens médicaux. Ces rendez-vous devront toutefois être plus fréquents, quand on vieillit.
  • Mais ces visites médicales systématiques pour les seniors divisent. Les fédérations de personnes âgées que 20 Minutes a interrogées n’y sont pas favorables. Le ministre des Transports lui-même, Clément Beaune, a écarté l’idée.

La vie de Pauline Déroulède a basculé, le 27 octobre 2018. Ce jour-là, alors qu’elle était assise sur son scooter, à l’arrêt, sur un trottoir du 15e arrondissement de Paris, elle a été percutée de plein fouet par une voiture, conduite par un homme de 92 ans qui a accéléré, au lieu de freiner. Pauline Déroulède a été violemment projetée, à plusieurs dizaines de mètres. Elle doit sans doute sa vie à son casque, qu’elle n’avait pas enlevé. Mais elle a dû, malheureusement, être amputée d’une jambe. Depuis, cette passionnée de tennis, qui se prépare pour les prochains Jeux paralympiques, se bat pour que soient instaurées des visites médicales régulières, afin de valider l’aptitude à la conduite des automobilistes.

« Cet accident n’aurait jamais eu lieu si ce monsieur avait arrêté de conduire, confie Pauline Déroulède. En France, on est très investi contre l’alcool ou le téléphone au volant. Mais on peut conduire jusqu’à notre mort, sans aucun contrôle médical. » Elle ne souhaite pas, toutefois, « stigmatiser » les seniors. « Nous ne sommes pas tous égaux, et quelqu’un qui a 80 ans peut avoir de meilleures capacités que quelqu’un qui en a 50 et qui souffre d’une maladie », confie Pauline Déroulède. Cette championne de tennis fauteuil milite pour que soient mis en place des contrôles médicaux « pour tous les conducteurs ». Ces examens devront toutefois être plus fréquents, note-t-elle, quand on vieillit.

Sur les seniors et la conduite, « on ne peut pas fermer les yeux »

Selon le dernier bilan de l’Observation de la Sécurité routière, les conducteurs seniors ont été, en 2022, « plus souvent présumés responsables d’accidents mortels (dans 64 % des cas) que les autres conducteurs (56 % des cas) ». Toutefois, « le nombre de seniors présumés responsables rapporté au million d’habitants de cet âge est équivalent après 75 ans au ratio analogue des 25-34 ans, et inférieur à celui des 18-24 ans. Cependant, rapporté au kilométrage réalisé, le risque d’être présumé responsable pour les 75-84 ans dépasse celui des 25-34 ans, et, pour les 85 ans et plus, celui des 18-24 ans ».

Deux députés, affectés par l’histoire de Pauline Déroulède, travaillent sur l’encadrement de la conduite des seniors. Bruno Millienne (Modem), élu des Yvelines, a rédigé un projet de loi, qui impose aux automobilistes de 75 ans ou plus à passer, tous les cinq ans, un contrôle médical, pour vérifier qu’ils sont toujours aptes à prendre la route. Des médecins pourront décider de l’interdiction totale, ou partielle (uniquement la nuit, par exemple), de conduire. « Je ne sais pas si cette loi sera adoptée, mais je pense, au moins, que ce sujet mérite d’être débattu, confie Bruno Millienne. On ne peut pas fermer les yeux », note-t-il.

« Les gens n’arrêteront pas de conduire de leur plein gré »

Patrick Vignal (LREM), député de l’Hérault, planche, lui aussi, sur cet épineux dossier. Il a entamé une vaste enquête, où il auditionne des médecins, des autos-écoles, des associations d’automobilistes et bien sûr, des personnes âgées. Il est favorable, lui aussi, à l’instauration de contrôles médicaux, pour les seniors. Mais les contraindre n’est pas la bonne solution, selon Patrick Vignal. Il préfère inciter les personnes les plus âgées à s’auto-évaluer, dans des simulateurs de conduite, par exemple, pour, éventuellement, qu’elles prennent conscience qu’elles ne sont plus capables de conduire. « Il s’agit d’adhérer, et non pas d’obéir », confie le député. Pauline Déroulède pense, elle, qu’il faut une loi. « Tant qu’on n’imposera pas un cadre légal, les gens, de leur plein gré, n’arrêteront pas de conduire, assure-t-elle. Je me souviendrai toujours de ce que m’a dit le conducteur qui m’a fauché : il m’a dit que s’il y avait eu une loi, il l’aurait respecté. »

Mais si on confisque le permis à une personne âgée, que devient-elle ? Pour Patrick Vignal, il faut, quand un senior ne peut plus conduire, lui offrir des alternatives simples, pour qu’il puisse se déplacer. « Une mamie de 80 ans, qui habite à Saint-Nazaire-de-Pézan, et qui a un rendez-vous à l’hôpital de Montpellier, elle a besoin de la voiture, confie Patrick Vignal. Et si elle a envie de rejoindre ses copines pour jouer au bridge ? Sans sa voiture, on la coupe de tout lien social. » Le député cogite notamment sur la mise en place d’un « Blablacar des seniors », qui permettraient aux personnes âgées d’être emmenées par des voisins, par exemple. Pauline Déroulède est, elle aussi, favorable à ces solutions alternatives. « Il ne s’agit évidemment pas de laisser les gens en plan, dans leur campagne isolée, quand ils ne sont plus capables de conduire », confie-t-elle.

« Je suis opposée à une visite médicale couperet »

Contrôler l’aptitude des automobilistes à la conduite est aussi sur la table, au niveau européen. L’eurodéputée Karima Delli (EELV), présidente de la commission Transports, a présenté le 18 septembre un projet visant à réviser les règles régissant le permis, dans l’Union européenne. Parmi ses propositions, un « examen médical obligatoire » pour tous, « afin de s’assurer que les personnes conduisant un véhicule soient en pleine possession de leurs moyens ». Avant 60 ans, elles devront s’y coller tous les dix ans. Après 60 ans, tous les sept ans. Après 70 ans, tous les cinq ans. Et après 80 ans, tous les deux ans.

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Mais enquiquiner les seniors sur leur aptitude à prendre le volant divise. Claudette Brialix, la présidente de la Fédération nationale des associations et des amis des personnes âgées et de leurs familles (Fnapaef), s’interroge quant à l’instauration de ces visites médicales. « D’abord, une « personne âgée », cela ne veut pas dire grand-chose : 65 ans, 70, 75, 80, 90 ans, ce n’est pas la même chose, confie-t-elle. Et puis ces personnes âgées, elles habitent où ? Dans une zone urbaine, bien desservie par des transports en commun ? Ou dans une zone isolée ? Roulent-elles le jour, ou la nuit ? Ont-elles des proches, auprès d’elles ? » Si l’on tient compte de toutes ces particularités, Claudette Brialix n’est pas opposée à la mise en œuvre de certains dispositifs. Comme un contrôle de la vue ou une « mise à jour des connaissances » sur le Code de la route. « Mais je suis opposée à une visite médicale couperet, qui déciderait de façon péremptoire qu’on peut conduire ou qu’on ne peut plus conduire », confie la présidente de la Fnapaef.

Le ministre des Transports n’est pas favorable à ces visites médicales

Roger Perret, président de l’Union nationale des retraités et des personnes âgées (UNRPA), lui non plus, ne pense « pas du bien » de ces visites médicales systématiques après un certain âge. « Les personnes âgées sont déjà beaucoup stigmatisées, et en rajouter compliquerait encore un peu plus leur vie, et remettrait en cause leur dignité », confie-t-il. Il n’est pas opposé, toutefois, dans le cas d’une pathologie invalidante, qu’un médecin signifie à une personne âgée qu’elle n’est plus apte à prendre la route.

NOTRE DOSSIER SUR LA SECURITE ROUTIERE

Interrogé sur Sud Radio le 5 octobre, le ministre des transports lui-même, Clément Beaune, a fait savoir qu’il n’était pas favorable à l’instauration de ces visites médicales. « Lorsque l’on est une personne âgée, notamment dans les territoires ruraux, on a besoin de la voiture, a-t-il confié. La France ne soutient pas l’idée qu’on impose une forme de (…) date de péremption (…) pour le permis de conduire. » Cette déclaration de Clément Beaune a « beaucoup choqué » Pauline Déroulède. Quand elle s’est lancée dans ce combat, il y a cinq ans, « je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi difficile, confie-t-elle. La voiture, en France, c’est sacré. Et avec les personnes âgées, on touche à un électorat important. Et cela demande de réformer complètement notre système de mobilités. »