Saint-Malo : Les rochers sculptés de l’abbé Fouré continuent d’intriguer (et de diviser)
ART BRUT•Une exposition consacrée à la vie et l’œuvre de l’homme d’Église devenu sculpteur se tient jusqu’au 12 janvier aux archives départementales d’Ille-et-Vilaine à RennesJérôme Gicquel
L'essentiel
- Sur les falaises de Rothéneuf à Saint-Malo, l’abbé Fouré a laissé sa trace avec une œuvre monumentale de 300 sculptures taillées à même la roche.
- Plus de 110 ans après la mort de son créateur, les rochers sculptés restent toujours un mystère avec des versions qui s’opposent sur leur signification.
- Une exposition présentée aux archives départementales d’Ille-et-Vilaine à Rennes revient sur la vie et l’œuvre de cet homme d’Eglise, considéré aujourd’hui comme l’un des précurseurs de l’art brut.
Domaine de l’Ankou, des korrigans, des elfes et de Merlin l’Enchanteur, la Bretagne est une terre de légendes. Celles des légendes arthuriennes bien sûr dans la mythique forêt de Brocéliande. Mais à une centaine de kilomètres de là, d’étranges créatures peuplent aussi les falaises du quartier de Rothéneuf à Saint-Malo. Taillées directement dans la roche granitique surplombant la mer, ces sculptures représentent tour à tour des visages énigmatiques, des monstres marins, des animaux ou des lutins. Une œuvre singulière que l’on doit à l’abbé Fouré, un homme d’Église devenu sculpteur.
A l’honneur d’une exposition consacrée à sa vie et à son œuvre qui se tient jusqu’au 12 janvier aux archives départementales d’Ille-et-Vilaine, l’abbé Fouré, né Adolphe Julien Fouéré en 1839, est lui-même un personnage singulier. Pendant près de trente ans, il a œuvré comme prêtre de campagne en Ille-et-Vilaine, engagé auprès des populations ouvrières. Un caractère bien trempé qui ne plaît guère à l’institution religieuse, qui voit en lui un prêtre encombrant et peu enclin à se plier à l’autorité. En 1894, on lui porte le coup de grâce en lui retirant ses fonctions pour « dureté d’oreilles. »
Considéré comme l’un des précurseurs de l’art brut
Le prêtre déchu se retire alors à Rothéneuf, un ancien village de pêcheurs transformé en station balnéaire à la fin du XIXe siècle. Artiste autodidacte, il réalise ses premières sculptures sur la pointe de Christ avant de poursuivre son œuvre sur la falaise de la Haye, puisant son inspiration dans la forme des rochers. En à peine quinze ans, muni d’un marteau et d’un burin, il réalise une œuvre monumentale, sculptant plus de 300 statues sur les rochers de la cité corsaire avant de décéder le 10 février 1910.
Cela lui vaut aujourd’hui d’être considéré comme l’un des précurseurs de l’art brut. Mais plus d’un siècle après la disparition de leur créateur, les rochers sculptés restent toujours un mystère. « L’absence d’écrits de sa part rend encore son œuvre plus énigmatique », souligne Elodie Petton, la commissaire de l’exposition. C’est ainsi que sont nées des légendes autour du travail de l’abbé Fouré. Pour les propriétaires du site des rochers sculptés, le prêtre se serait inspiré de l’histoire de la famille des Rothéneuf, une lignée de corsaires et de pêcheurs contrebandiers.
Une œuvre qui s’efface au fil du temps
Une version « fantaisiste », selon Joëlle Jouneau, présidente de l’association des amis de l’œuvre de l’abbé Fouré, désireuse de « remettre l’église au centre du village. » « Le site est privé donc les propriétaires sont libres de romancer tout ça, indique-t-elle. Mais nous, on s’appuie sur un vrai travail de recherche. » Selon elle, l’histoire des corsaires et des contrebandiers serait donc une pure invention. « Il y a une portée religieuse bien sûr dans l’œuvre de l’Abbé Fouré, assure-t-elle. Mais aussi historique avec des personnages qui avaient un lien avec l’actualité de son époque. » Pas très copain avec l’association, Antoine Janvier, le gérant des lieux, se défend. « Chacun est libre d’interpréter comme il veut ses sculptures, indique-t-il. Mais c’est pénible d’entendre à chaque fois qu’on raconte des conneries et que ce sont eux qui ont la bonne interprétation ».
A Rothéneuf, la signification des rochers sculptés n’est pas le seul sujet de discorde. L’avenir de l’œuvre de l’abbé Fouré, qui s’efface lentement sous l’effet de l’érosion, est aussi source de tensions. Car sur les 300 statues taillées par l’Ermite de Rothéneuf, il n’en resterait aujourd’hui qu’une centaine selon l’association, qui ne cesse d’alerter les autorités sur la fragilité de ce patrimoine exceptionnel. « Le piétinement des visiteurs met les sculptures en péril, souligne Joëlle Jouneau. Il faut donc agir pour retarder la disparition des sculptures restantes. »
Visé sans être nommé, et assez agacé par nos questions, Antoine Janvier réfute vigoureusement l’idée que le site est à l’abandon. « Je n’ai aucun intérêt à le laisser à l’abandon, répond-il. Mais malheureusement, contre les embruns, la pluie et le vent, je ne peux pas faire grand-chose. »
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