Pornographie : Le X, berceau des violences sexistes et sexuelles ?
Hydre à abattre•Accusée de systématiquement « massacrer » les femmes par le HCE, l’industrie pornographique est souvent présentée comme un milieu monolithique et intrinsèquement sexiste et violentDiane Regny
L'essentiel
- Mercredi, le Haut Conseil à l’Egalité a publié un rapport au vitriol sur la pornographie qui affirme que « des femmes et des filles » y sont « massivement victimes de violences physiques et sexuelles ».
- D’après les auteurs de l’étude, « 90 % des contenus pornographiques présentent des actes non simulés de violences physiques, sexuelles ou verbales envers les femmes ».
- Mais diaboliser l’ensemble du milieu est-il vraiment la solution pour l’assainir ?
Un « système de massacre des femmes à but lucratif ». C’est ainsi que le Haut Conseil à l’Egalité présente l’industrie pornographique dans son rapport remis ce mercredi au gouvernement. Dans la foulée, la ministre chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes Bérangère Couillard a estimé que « les violences dans la pornographie ne cessent de monter en puissance ». C’est une ritournelle perpétuelle quand il est question de porno. L’industrie du X serait un pur concentré de violences sexistes et sexuelles. Il serait par essence plus agressif et plus sexiste que tout autre milieu. Et chaque année, il deviendrait plus brutal, plus violent, plus déshumanisant.
« Il y a probablement davantage de pratiques hardcore qu’il y a trente ou quarante ans, je veux bien l’admettre. Mais c’est du pifomètre : il n’existe pas d’étude sérieuse sur les vingt dernières années par exemple », souligne Ludi Demol Defe, chercheuse en Sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis et spécialiste de la pornographie. Une des rares études sur la question tend justement à aller à l’encontre de ce cliché. Publiée en 2018 et basée sur près de 300 vidéos de Pornhub (les plus populaires mais aussi certaines choisies aléatoirement), elle montre que les pratiques violentes tendent à diminuer légèrement depuis 2008.
Des représentations « violentes et discriminantes vis-à-vis des femmes »
Les pratiques jugées violentes se taillent toutefois toujours la part du lion. Olympe de Gê, réalisatrice spécialisée dans le porno, reconnaît aisément dans son blog que l’industrie du X diffuse « des représentations du sexe qui sont violentes et discriminantes vis-à-vis des femmes » ainsi que d’autres minorités et rappelle que dans « 95 % de ces scènes de violences, ce sont les femmes qui sont agressées ».
Mais dans le rapport du HCE « il y a une confusion entre, d’un côté, le sexe doux – surnommé le sexe vanille – et la mise en scène de rapport de domination et, de l’autre, le sexe consenti ou non. La mise en scène d’un rapport de domination, ce n’est pas forcément du sexe violent », alerte Florian Vörös. Or, « la sodomie est considérée comme violente par le HCE » dans son rapport au vitriol, reproche le chercheur spécialiste des questions de pornographie et d’éducation à la sexualité.
Taxer de violence certaines pratiques
En parcourant le rapport, on constate effectivement que dans les mots-clés recensés par l’instance pour déterminer la violence dans la pornographie se trouve « anal » (en annexe 1 du rapport). Si aucun lien explicite n’est fait entre sodomie et violence au cours des pages, il se trouve toutefois associé de fait à des mots considérés comme fétichisants (par exemple « beurette »), incestueux (par exemple « sœur ») ou violents (par exemple « salope »).
L’association de la sodomie à une pratique intrinsèquement violente pose donc le risque de cibler des pratiques sexuelles considérées comme déviantes, un mot qui a longtemps été utilisé pour discriminer les minorités sexuelles. « Si on tire le fil, on peut arriver à une réglementation des sexualités comme on le voit dans certains Etats américains et ce sont les minorités qui vont en pâtir en premier », avertit Florian Vörös. La question du sexe et de la violence est délicate. Les chercheurs spécialisés dans la pornographie sont presque unanimes : c’est un milieu misogyne et violent. Pour autant, n’est-il pas le reflet de notre société ?
« La culture du viol est partout »
« Évidemment que la pornographie est sexiste et violente. Mais l’histoire de la princesse qui offre son corps et son cœur en échange de la force et du courage du preux chevalier n’est pas nouvelle ! », s’exclame Ludi Demol Defe. Ainsi, dans le cinéma, les stéréotypes de genre sont bien ancrés et les scènes où le consentement d’un personnage féminin est allègrement piétiné sont légion. C’est le cas du baiser que Han Solo donne à la princesse Leïa sans son consentement mais aussi des dessins animés Blanche Neige ou la Belle au bois dormant – puisqu’on le rappelle, une femme endormie ne peut pas dire oui. « La culture du viol est partout, elle est présente dans les films, dans les dessins animés, dans la littérature prestigieuse… », énumère Florian Vörös.
Si l’industrie du X n’y échappe pas, la présenter comme le berceau des violences faites aux femmes pourrait avoir un effet délétère dans le combat de ces abus. « En assimilant porno et violence, on fait de la pornographie un bouc émissaire et on perd la possibilité d’analyser ce qu’est la violence », estime Ludi Demol Defe. Si l’ensemble de l’industrie du X est considéré comme violente, il est en effet difficile de s’attaquer à des choses précises. Dans le porno, il y a des affaires d’une violence inouïe, comme celle de « French Bukkake » où s’entremêlent viols aggravés, traite d’êtres humains ou encore proxénétisme. Mais le milieu est vaste et de nombreuses initiatives cherchent à l’assainir. Une kyrielle de voix - en particulier féminines - s’élèvent pour s’attaquer au sexisme et aux violences sexuelles dans ce domaine.
Ecouter toutes les pistes
En stigmatisant l’ensemble de l’industrie, les pouvoirs publics ferment la porte au dialogue. Dans son rapport, le HCE reproche d’ailleurs au planning familial de ne pas insister sur l’interdiction de l’accès au porno pour les mineurs quand elle offre des espaces de discussion sur la question. Olympe de Gê appelle, elle, à « une conversation publique, ouverte, sur le sexe et sa représentation » afin de « nous aider à accéder à une sexualité débarrassée des violences, saine, et égalitaire ». En considérant l’industrie du X comme un monstre fait de brutalité et de haine des femmes, on s’interdit de la considérer comme un milieu « normal » qui peut être régi par des règles claires.
« Autorisons plutôt les actrices pornos à se syndiquer, à avoir des agents pour vérifier leurs contrats et faire respecter ceux-ci », propose Ludi Demol Defe qui regrette que les femmes ne soient « pas assez protégées sur les tournages pornographiques aujourd’hui ». « Nous sommes nombreux et nombreuses à ne pas être à l’aise avec le panorama de la pornographie la plus accessible. Mais plutôt que de casser du sucre sur le dos des réalisatrices féministes, on pourrait au contraire leur donner plus de pouvoir », propose Florian Vörös. Et ainsi donner un peu plus de place à des productions où les femmes sont moins vues comme des objets, où le consentement des actrices est respecté, où le cunnilingus est présent et le plaisir (réel) des femmes n’est plus invisibilisé, où l’érotisme est exprimé par la voix… A minima, il faut explorer avec rationalité les différentes pistes qui fleurissent pour assainir un milieu encore perclus de sexisme et de violences envers les femmes.