Entre « la guerre, l’inflation, l’éco-anxiété », les Françaises battent un record de recours à l’IVG (à relativiser)
1001 raisons•Selon un rapport de la Drees, 234.300 interruptions volontaires de grossesse (IVG) ont été enregistrées en France en 2022, soit 7.000 de plus qu’en 2019Xavier Regnier
L'essentiel
- Selon un rapport de la Drees, 234.300 interruptions volontaires de grossesse ont été enregistrées en France en 2022, soit 7.000 de plus qu’en 2019. Une hausse qui ne peut pas être attribuée qu’à l’allongement du délai légal, passé de 12 à 14 semaines depuis la loi votée en mars 2022 et qui ne concerne que 1,5 % de l’ensemble des IVG.
- « Le Covid-19, la guerre en Ukraine » ou encore l’éco-anxiété sont autant d’éléments qui expliquent en partie cette hausse, au moment où la natalité baisse.
- Il existe également des tendances plus profondes. « Ce n’est pas le motif principal, mais la question "est-ce que c’est le moment ?" circule », note d’ailleurs la gynécologue Sophie Gaudu.
«Tout le monde avorte, ça a toujours concerné toutes les classes d’âges », tranche d’emblée la gynécologue obstétricienne Sophie Gaudu. Reste que le recours à l’interruption volontaire de grossesse est en hausse en 2022. Selon un rapport de la Drees (direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), 234.300 femmes ont avorté en France, soit 7.000 de plus qu’en 2019.
Un niveau jamais atteint depuis 1990, et un chiffre qui marque un réel rebond après les années Covid-19. Effet allongement du délai légal, passé de 12 à 14 semaines depuis la loi de mars 2022 ? Pas vraiment, puisque cet « extra-time » ne concerne que « moins d’un cinquième du surplus observé par rapport à l’année 2021 », selon le rapport.
« C’est plus une histoire de couple qu’une histoire de femmes »
Les femmes de 25 à 29 ans sont celles qui y ont le plus recours, avec 28,6 IVG pour 1.000 femmes, compte la Drees, suivie par celles de 20 à 24 ans. « C’est lié à la vie reproductive », explique Mireille Le Guen, démographe et chercheuse à l’UC Louvain. Plus jeune, « on a des rapports sexuels moins rapprochés », et donc moins recours à l’IVG, « contrairement aux idées reçues ». Entre 20 et 30 ans, la vie sexuelle est plus active certes mais « l’on n’a pas forcément le désir de construire une famille car on construit déjà sa vie professionnelle », explique encore la chercheuse.
L’augmentation du recours à l’IVG « touche aussi les 40-45 ans », souligne Sophie Gaudu. Un âge où « certaines femmes ne se remettent pas en couple », indique Mireille Le Guen. Socialement, « les femmes de milieu précaire ont davantage recours à l’IVG », précise-t-elle, citant une autre étude la Drees, car « la situation financière rend difficile l’accueil d’un enfant », surtout s’il n’est pas prévu. Car derrière la question de l’IVG, il y a celle des grossesses non désirées. La hausse notée dans le rapport de la Drees est ainsi à mettre en relation avec la chute de la natalité. « D’habitude, les deux courbes se suivent », rappelle Sophie Gaudu. Mais ces trois dernières années, « il y a eu le Covid-19, la guerre en Ukraine, des mouvements sociaux, une inflation record », bref, autant de raison de reporter la venue au monde d’un enfant, surtout s’il n’est pas prévu. « C’est plus une histoire de couple qu’une histoire de femmes », analyse la gynécologue. Elle cite aussi « l’éco-anxiété » et la libération de la parole sur le non-désir d’enfant. « Ce n’est pas le motif principal, mais la question "est-ce que c’est le moment ?" circule », note-t-elle.
« Le nombre d’IVG est un poil à gratter social »
Brisant une autre idée reçue, Mireille Le Guen insiste sur le fait que « le recours à l’IVG ne veut pas dire qu’il y a une absence de contraception mais plutôt un échec de la méthode ». Sur ce point, la gratuité prônée par le gouvernement ne « concerne pas toutes les méthodes », cible-t-elle, constatant que « l’accès à la contraception n’a pas changé ». « Il y a moins de grossesses non souhaitées, mais quand il y en a, il y a plus de chances de recourir à l’avortement », détaille-t-elle. En revanche, le rebond des IVG après le Covid-19 est plutôt « une bonne nouvelle, qui traduit la réouverture des centres ». Soulignant aussi la possibilité pour les sages-femmes de pratiquer des IVG médicamenteuses, la démographe estime qu’« on a tendance à penser que le recours à l’IVG est une mauvaise nouvelle, mais c’est en fait un marqueur de l’autonomie reproductive des femmes ».
« Le nombre d’IVG est un poil à gratter social », renchérit alors Sophie Gaudu, « comme si l’IVG était voué à disparaître ». Or, soutient la gynécologue, tant que des femmes tomberont enceintes, « il y a des grossesses que les femmes souhaiteront interrompre ». Sophie Gaudu se félicite d’un « accès plutôt bon » en France, avec des lois « facilitantes depuis vingt ans », et invite à relativiser la « hausse dans la stabilité » des chiffres du rapport de la Drees. Sur 234.300 IVG en 2022, « par rapport à 2019, si on enlève les 3.000 liés à l’augmentation des délais, ça fait combien ?…. » Produit en croix à l’appui, une hausse de 1,76 %.
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