« N’ayons pas peur, soyons partiales » envers les hommes, appelle Noémie de Lattre
One-Woman-Show•Noémie de Lattre revient sur le devant de la scène avec son spectacle « L’Harmonie des genres » au théâtre des MathurinsDiane Regny
L'essentiel
- Toutes les semaines, 20 Minutes propose à une personnalité de se livrer sur son actualité dans son rendez-vous « 20 Minutes » avec.
- Noémie de Lattre revient sur le devant de la scène avec son spectacle L’Harmonie des genres au théâtre des Mathurins à Paris, les dimanches à 20 heures et les lundis à 20h30.
- La féministe continue à s’interroger sur les rapports entre les hommes et les femmes alors que « ça fait des milliers d’années qu’on nous oppose ».
Armée d’un micro doré attaché à la cuisse et de ses éternels talons hauts, Noémie de Lattre revient sur le devant de la scène avec son spectacle L’Harmonie des genres. L’occasion de tirer le délicat fil des relations entre hommes et femmes avec humour et musicalité – on adore notamment la reprise du mot « patriarcat » chanté comme un single à chaque occurrence, ou presque. Accompagnées de trois musiciennes de talent, Elodie Milo, Swanny Elzingre et Cléo Bigontina, l’artiste nous dit tout sur la « patrice » – et non pas la matrice puisque « c’est un monde d’hommes », comme elle le chante si bien.
Le féminisme de cette autrice, metteuse en scène et comédienne transpire dans chacune de ses œuvres. De ses chroniques sur France Inter à ses livres Un homme sur deux est une femme (Flammarion) et Journal, L’Histoire de mon cœur et de mon cul (Albin Michel) et jusqu’aux planches, évidemment. Pour 20 Minutes, elle décortique ses projets puis revient sur les dernières actus du patriarcat entre deux représentations de L’Harmonie des genres au théâtre des Mathurins.
Après « Féministe pour homme », vous revenez avec un nouveau spectacle, « L’Harmonie des genres ». D’où vous vient cette inspiration ?
Je me suis beaucoup inspirée de mes défaites personnelles (rires). Tout ce que je produis part de mon expérience, de ce que j’observe autour de moi. Ensuite, j’en fais quelque chose de plus universel. Dans mon premier spectacle, je revenais sur la condition des femmes. Charge mentale, viol, éducation… Les femmes sont discriminées à tous les niveaux. Maintenant qu’on a posé les bases, on est féministes, MeToo est passé par là, c’est super ! Mais qu’est-ce qu’on en fait quand on est hétéro ? Comment est-ce qu’on articule le féminisme avec le sexe hétéro, le couple hétéro, la famille ? Comment être dans le bonheur et l’amour quand ça fait des milliers d’années qu’on nous oppose ?
C’est si difficile d’allier couple hétéro et féminisme ?
C’est extrêmement difficile. Après MeToo, les mecs n’étaient pas prêts à prendre cette place, et nous non plus ! Dans tous les idéaux romantiques, des contes de fées aux films, on érotise des hommes forts, riches et puissants. C’est super compliqué de faire rentrer la libération des femmes dans le cadre du couple hétérosexuel.
Pourquoi utiliser l’humour pour parler de féminisme ?
Parce que sinon les gens partent en courant ! (rires) Le féminisme, c’est la cause la plus vilipendée qui soit. Je m’en amuse d’ailleurs dans le spectacle avec une petite musique qui survient dès que je prononce le mot patriarcat. C’est un mot épouvantail. Moi-même, je l’ai longtemps associé à un mot de militantes, un mot relou.
Quand j’ai commencé à vraiment me positionner en tant que féministe, je faisais des conférences où je ne m’adressais qu’à des gens convaincus. C’est pour cette raison que j’ai pensé à ce premier spectacle qui pouvait attirer tout le monde, surtout les hommes : c’est drôle et je me foutais à poil. Ce deuxième spectacle s’adresse vraiment aux hommes comme aux femmes, il traite du moment où ils se rencontrent, qu’ils soient homos, hétéros, cis ou trans.
Vous avez récemment écrit un numéro érotique pour Dorcel qui parle de soumission et de féminisme. Deux thématiques rarement évoquées ensemble…
Il y aurait soi-disant une opposition entre le fait d’être féministe et de pouvoir être soumise sexuellement. J’ai régulièrement des questions du type : « Comment peux-tu être féministe alors que tu t’es fait refaire les seins ? Comment tu peux être féministe si tu te fais fesser au lit ? » Mais à quel moment ce qu’il se passe dans ta chambre à coucher t’empêche de te battre pour tes droits ? La plupart des mecs imaginent que je suis Matahari au lit. Il y a un décalage. Mais je ne devrais pas avoir à le justifier : ce que je fais de mon cul ne regarde que moi. Je voulais évoquer ce sujet pour Dorcel, parler d’une femme qui, elle-même, ne sait pas comment gérer son goût pour la soumission.
Les femmes sont toutefois plus libres de parler et de vivre leur sexualité aujourd’hui, non ?
Absolument. Aujourd’hui, je dois avoir dix-huit sex-toys dans mon tiroir tellement on m’en offre ! Avant, on t’offrait des fleurs, aujourd’hui on t’offre des vibros. (rires) Mais il y a un effet pervers à cette libération : la sexualité reste totalement androcentrée, c’est-à-dire concentrée sur le plaisir des hommes. On croit qu’on a le droit d’être vierge ou putain mais dans les deux cas c’est pas bien et, en plus, on est à la disposition du plaisir des hommes.
Vous évoquez la masculinité positive dans votre nouveau spectacle. C’est une piste ?
La masculinité positive permettrait aux hommes de se libérer de l’injonction à la virilité. Même s’ils bénéficient plus du patriarcat que les femmes (évidemment), les hommes sont aussi victimes de la virilité. Olivia Gazalé le montre bien dans Le Mythe de la virilité. J’ai d’ailleurs remarqué récemment que si la masculinité a son pendant féminin – la féminité –, la virilité n’en a pas. C’est un concept profondément hégémonique. Pour s’en libérer, il nous faut plus de modèles d’hommes hétéros qui ne sont pas dans la virilité, et ils restent encore très rares.
Vous êtes considérée comme l’une des figures de la sororité. Comment vous sentez-vous par rapport à ce rôle ?
J’adore entendre ça. On aurait pu dire plein d’autres choses de moi. Le fait qu’on retienne ça, ça me bouleverse, ça me rend extrêmement heureuse et ça me fout une pression colossale. Je crois profondément à la puissance de la sororité. Si d’un coup, on se dit maintenant on va être partiales, on va prendre le parti des femmes tant qu’elles devront se suradapter pour survivre, le changement serait colossal. Mais on est de bonnes élèves ! Arrêtons de l’être, soyons partiales, n’ayons pas peur. Avant que le balancier revienne au milieu, on a tellement de marge !
Parlons un peu d’actualité. Récemment, les fabricants de protections menstruelles ont été dans la tourmente quand le public a compris que leurs produits n’avaient jamais été testés avec du sang. C’est une polémique qui vous parle ?
C’est mythique. C’est hallucinant. On a dû se battre pour obtenir la composition de ces produits, après des années de bataille, elle n’est lisible qu’à l’intérieur du paquet, les protections ne sont toujours pas gratuites… Je pense qu’il suffirait d’expliquer la question des règles et de comment on gère cela sur notre planète pour que les extraterrestres nous prennent pour un peuple de barbare ! On met en danger, on fait payer et on ostracise la moitié de la planète. Et ça semble normal à tout le monde. J’en parle dans l’une des chansons du nouveau spectacle des Funambules, un collectif dont je suis la marraine.
En Espagne, l’agression sexuelle en direct du président de la fédération espagnole de football, Luis Rubiales, sur la capitaine de l’équipe, Jenni Hermoso, a provoqué un scandale, c’est positif ?
Ça provoque bien plus de remous qu’avant mais même là, Luis Rubiales est parti en disant qu’il avait raison, que ce baiser était consenti. Et surtout, il a fallu que toute une équipe soit menaçante pour qu’il parte, que vingt-trois femmes refusent de jouer pour qu’un homme démissionne. Je me suis dit : en fait, c’est ça. Un homme vaut vingt-trois femmes.
Chaque avancée que l’on fait, on la paye. On le voit avec des choix délibérément antiféministes comme la nomination de Gérald Darmanin, le recul du droit à l’IVG aux Etats-Unis ou encore la Cour des comptes qui étrille le gouvernement sur sa soi-disant grande cause des deux quinquennats. Le retour de bâton a déjà commencé et je pense qu’il n’en est qu’au début.