Santé mentale : De plus en plus de Français se forment aux premiers secours face à « la détresse, partout »
REPORTAGE•Quelque 70.000 personnes ont déjà suivi une formation aux premiers secours en santé mentale, dans le but de mieux reconnaître les troubles psychiques chez leurs proches et savoir comment réagirJulie Urbach
L'essentiel
- Né en Australie, le secourisme en santé mental se développe en France, où 70.000 personnes ont déjà appris son protocole d’action.
- Ecouter, réconforter, encourager à aller consulter… A Nantes, « 20 Minutes » a suivi les participants d’une de ces formations, ouverte à tous à partir de 18 ans, qui se déroule sur deux jours.
«As-tu déjà pensé à te suicider ? » La phrase est lâchée d’une traite, calmement, sans que la voix ne se brise. Une onde de choc traverse la salle et tout le monde retient son souffle, oubliant presque un instant qu’il s’agit d’un exercice de mise en situation. Cet après-midi, dans un espace de coworking cosy du centre-ville de Nantes, une dizaine de personnes de tous horizons sont venues se former aux premiers secours en santé mentale.
Une session de deux jours, comme l’ont déjà suivi quelque 70.000 personnes en France depuis 2019, qui vise à permettre « une meilleure connaissance de la santé mentale et des troubles psychiques », explique le ministère de la Santé, qui pousse son développement. Devant les autres participants, les deux volontaires continuent de dérouler le scénario. « C’est vrai qu’avec tout ce qui m’arrive en ce moment, la vie n’a plus d’importance pour moi… » « Moi je suis là pour toi, lui répond avec bienveillance sa prétendue voisine. Il y a toujours des solutions, et surtout des professionnels pour t’aider. »
Un plan d’action, à l’instar des « gestes qui sauvent »
Alors qu’en Europe 27 % de la population a souffert d’un trouble psychique durant ces douze derniers mois, la parole semble doucement se libérer autour de la santé mentale. Pour autant, il est difficile de trouver les bons mots lorsqu’un collègue, une amie, ou un membre de sa famille semble angoissé, voire pourrait passer à l’acte. « L’objectif est que le secouriste en santé mentale sache détecter les symptômes, puis comment réagir jusqu’à amener la personne vers le soin, explique Cécile Maniez, la formatrice nantaise. Dans le cas d’une crise suicidaire, il est important de poser des questions claires à la personne, sans être dans le jugement vis-à-vis de ses intentions. Cela permet d’évaluer son état, de lui montrer qu’on a compris et que l’on est ouvert à la discussion. Il faut être prêt à ce qu’elle nous réponde « oui » et dans ce cas d’urgence, à appeler le Samu. »
A l’instar des « gestes qui sauvent », le secourisme en santé mentale, né en Australie en 2000 et qui a depuis fait ses preuves dans 24 pays, propose un véritable plan d’action. Que ce soit pour un trouble anxieux, dépressif, ou lié à la consommation de substances, ce dernier se décline en cinq étapes réunies sous l’acronyme AERER (approcher, écouter, réconforter, encourager à aller voir un professionnel et renseigner sur les ressources existantes). « Lorsque l’on constate chez une personne un changement majeur des émotions, qui dure dans le temps et qui altère le quotidien, il ne faut pas hésiter à questionner, indique la formatrice. Mais le secouriste n’est pas un thérapeute, il est là comme un relai. Il faut savoir qu’une personne sur deux qui souffre de trouble psychique ne va pas aller chercher de l’aide d’elle-même, par manque d’information ou par peur du jugement. »
« Proposer l’espoir d’aller mieux »
Etudiante en pharmacie à Nantes et future secouriste, Pauline le sait trop bien. Après le suicide de son frère, la jeune femme s’est donné la mission de « déstigmatiser les sujets de santé mentale » auprès d’étudiants en santé qui « vont passer leur vie à aider les gens mais qui ne prennent pas soin d’eux-mêmes » mais aussi plus largement, dans la société, où « il y a de la détresse, partout ». Franck a quant à lui voulu passer son certificat après que ce consultant en management a eu à gérer le cas d’une salariée qui lui a fait part de son mal-être, fondant en larmes lors d’un tour de table. « J’ai agi à l’intuition, en essayant d’être à son écoute puis en lui conseillant d’aller voir un psy, se remémore le coach. Je n’ai pas si mal agi mais désormais j’ai de vrais appuis. C’est important car parfois on pense aider, mais en fait on minimise. »
Pour Cécile Maniez, « prendre le temps de discuter avec une personne de ses ressentis et lui proposer l’espoir d’aller mieux » est avant tout une « démarche citoyenne », mais il faut veiller à « se protéger soi-même ». L’objectif de l’association Premiers secours en santé mentale (PSSM), qui pilote ces formations (accessible à partir de 18 ans, prix recommandé : 250 euros), est d’atteindre 750.000 secouristes en santé mentale partout en France d’ici à 2030.