Harcèlement scolaire : En quoi consistent les cours d’empathie que le gouvernement veut développer ?
EDUCATION•Apprendre dès le plus jeune âge à être un bon camarade permet de prévenir efficacement le harcèlement scolaireDelphine Bancaud
L'essentiel
- La Première ministre, Élisabeth Borne, présentera ce mercredi le plan interministériel de lutte contre le harcèlement à l’école.
- Parmi la palette de mesures qu’elle annoncera, devrait figurer le développement des cours d’empathie dans les écoles maternelles et élémentaires. Car Gabriel Attal, le ministre de l’Education, s’y est montré favorable.
- Un programme inspiré de ce qui se fait au Danemark est déjà expérimenté en France, en maternelle. Des activités qui permettent de développer les aptitudes psychosociales des plus petits.
Ils ne seront pas tous amis, mais au moins bons camarades. Telle est l’ambition du gouvernement pour les élèves français, même si le chemin sera long pour y parvenir. La Première ministre, Élisabeth Borne, présentera ce mercredi un plan de lutte contre le harcèlement scolaire. Parmi la palette de mesures qu’elle annoncera, devrait figurer le développement des cours d’empathie dans les écoles maternelles et élémentaires. Gabriel Attal s’est déplacé au Danemark la semaine dernière pour assister à une séance dans une école. Le pays a initié ces cours il y a une vingtaine d’années, via la méthode Fri for Mobberi (Libéré du harcèlement). Elle s’adresse à des enfants de 0 à 9 ans et est dispensée dans 60 % des écoles maternelles et 45 % des écoles élémentaires.
Un dispositif qui n’est pas inconnu en France, puisqu’il est expérimenté depuis la rentrée 2022 dans 18 écoles maternelles du 18e arrondissement de Paris et de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). Et cette année, le programme a essaimé : il est désormais proposé dans une trentaine d’établissements. Outre les écoles déjà lancées, d’autres situées dans les 19e et 20e arrondissements, ainsi qu’à Montreuil (Seine-Saint-Denis) et Eragny (Val-d’Oise) sont concernées.
Plein d’activités pour prendre conscience de l’autre
Avant de se lancer, les enseignants reçoivent une formation au programme de 6 heures. Libre à eux ensuite de piocher entre les différents ateliers de 20 à 40 minutes. « Exemple : le professeur des écoles leur présente une planche de discussion sur l’amitié ou l’entraide, le courage, le fait de dire "non". Le but étant de les faire discuter sur des situations du quotidien pour qu’ils trouvent eux-mêmes la solution à un problème et qu’ils regardent le monde avec les yeux de quelqu’un d’autre », raconte Margot Neuvialle, coordinatrice « Vivre ensemble-Fri for Mobberi » pour la Ligue de l’Enseignement. Autre activité possible : L’enseignant raconte une histoire et un élève dessine avec son doigt sur le dos de son voisin ce qu’il comprend. « Le premier demande l’autorisation à son camarade d’utiliser son dos et le remercie pour cela. Cela lui apprend à respecter l’autre élève et le rapproche de lui », constate Brigitte Cervoni, inspectrice de l’éducation nationale en charge d’une partie des écoles primaires du 18e arrondissement de Paris.
Un autre jeu est régulièrement proposé : des posters représentant des émotions (la colère, la tristesse, la joie, la peur…) sont affichés. Le professeur évoque ensuite une situation telle que : « Hector prend le ballon à Maya » et demande aux enfants de se positionner devant le poster représentant l’émotion vécue par Maya dans cette situation. « Or, on constate que les enfants ne se placent pas devant le même poster. C’est une manière pour eux de se rendre compte que tout le monde ne réagit pas de la même manière aux évènements », commente Margot Neuvialle.
Mascotte de ces cours d’empathie, un ourson a aussi un rôle important. « Les enfants peuvent l’apporter à un camarade qui s’est fait mal ou qui a du chagrin, afin de le consoler », rapporte Brigitte Cervoni.
« Créer une communauté d’enfants bienveillants et respectueux »
Il n’est jamais trop tôt pour agir sur le harcèlement scolaire, explique Margot Neuvialle : « Il est important d’intervenir dès le début de la socialisation de l’enfant, afin qu’il développe des compétences pour gérer ses émotions et comprendre celles des autres. » Un avis partagé par le psychopédagogue Bruno Humbeeck : « Le fait d’activer très tôt les neurones miroirs de l’enfant permet de développer son intelligence émotionnelle. »
Un dispositif complémentaire du programme pHARe de prévention du harcèlement, selon Brigitte Cervoni : « L’ambition est de créer une communauté d’enfants bienveillants et respectueux. Plus tôt ils apprennent à être bons camarades, mieux ils sauront défendre un élève s’il est embêté dans la cour ou dénoncer un abus s’ils en sont victimes. »
Des effets bénéfiques déjà perceptibles
Même si l’expérimentation de ces séances d’empathie est encore récente en France, les premiers retours sont positifs. Certains enfants acquièrent déjà de bons réflexes : « Un élève de maternelle voyant deux camarades se disputant un vélo dans la cour a appliqué l’une des techniques de gestion du conflit vues en classe », raconte Margot Neuvialle. Et alors qu’on aurait pu craindre que seuls les enfants les plus à l’aise à l’oral interviennent lors de ces séances, ce n’est pas le cas, selon elle : « Même les enfants inhibés cherchent à participer. Ces ateliers ont d’ailleurs un impact sur le développement des capacités d’expression orale ». Les effets sur le climat de la classe se ressentent aussi, selon Brigitte Cervoni : « Après les récréations, les enfants sont souvent tendus. Mais le fait de pratiquer ces activités lors leur retour en classe les apaise. »
Les parents, informés du dispositif, réfléchissent aussi davantage à leur moyen de lutter contre le harcèlement scolaire. « Ils ont pris conscience du sentiment d’exclusion des élèves qui n’étaient jamais invités aux anniversaires. Ou des répercussions lorsqu’ils parlent mal d’une famille de l’école devant leur enfant », indique Margot Neuvialle.
Un travail à prévoir dans la durée
Reste que ces cours d’empathie ne sont pas un remède miracle. « Pour qu’il y ait un vrai impact, il est nécessaire de faire un atelier par semaine. Et d’effectuer un travail dans la durée, c’est-à-dire en maternelle mais aussi en élémentaire et au collège. Comme au Danemark, les compétences psychosociales des élèves devraient être considérées en France comme des compétences socles », insiste Bruno Humbeeck